Laure Del Pino, auteure de bandes dessinées

Laure Del Pino dans la salle de la Maison des Arts (MDA) de Saint-Herblain où elle enseigne la bande dessinée.

Ecriture et expérimentation

Elle a rencontré la BD « par hasard ». Vingt-cinq ans et des études plus tard, Laure Del Pino poursuit une œuvre sur la place des femmes dans l’art. Titre pressenti : Sages femmes. 

À vingt ans, Laure Del Pino s’intéressait à la littérature et à la photographie. Son ami (« qui est toujours mon mari ») s’essayait à la bande dessinée. Elle s’y est mise aussi. « On a commencé ensemble. On a créé notre fanzine, on a été repèré.es par des éditeurs indépendants... J’étais toujours derrière, « la femme de ». On me posait toujours des questions à la con : “Tu dessines ou tu fais juste les couleurs ?“. Alors que mon mari s’était intégré et était un auteur. J’ai galéré, j’en ai souffert, j’ai commencé à en parler il y a quelques années. Puis c’est devenu le sujet central, qui s’enrichit tout le temps. J’ai envie de parler des auteures, de leur rendre hommage. C'est ce qui m'anime le plus. C'est ce qui m'anime le plus."

« La BD, un truc de moine copiste » 

Laure Del Pino est auteure : elle écrit et elle dessine, sans s’associer un.e scénariste. « La partie écriture est aussi importante que la partie dessin. Personnellement, j’écris d’abord. » L’écriture de son œuvre en cours est achevée – deux ans de travail. « C’est plus sur le mode littéraire sous forme de chapitres, qu’on peut rapprocher d’un roman graphique. Pas une narration avec personnages, séquences, actions. Cela pose une réflexion, des questions sous forme de bande dessinée. » Graphiquement, elle s’adonne à des expérimentations, travaille sur la matière. « J’adore les “accidents“ sur la couleur, après croquis. » Ce pourquoi, elle utilise des matières qui lui permettent de « ne pas tout maîtriser » : le papier d’emballage, le papier de soie cheap, le papier essuie-tout, le papier sulfurisé déjà passé au four... Elle tente les collages et les effets de transparence. « L’écrit est très maîtrisé, je voulais laisser une part plus libre à la partie graphique. » Laure Del Pino évolue dans sa propre direction – exactement ce qu’elle souhaite pour ses consœurs : « Il faut que les femmes fassent de la bande dessinée en étant les plus honnêtes et singulières possible, pas répondre à des attentes, pas séduire, essayer d’être soi-même. » Elle explique qu’il y a bel et bien des femmes dans la BD, ce monde androcentré, mais « pas visibles, pas montrées, pas choisies, pas mises en avant. Si elles racontent leurs petites histoires, leurs histoires érotiques, ça, ça plaît aux éditeurs. Mais si elles ont envie d’exister, de raconter leurs préoccupations identitaires, est-ce qu’on va vraiment les éditer ? Il faut rester dans des critères dits féminins ». Laure Del Pino a apprécié le tollé sur l’absence de femmes dans la sélection pour le Grand prix au festival d’Angoulême 2016, mais elle espère que le débat ne sera pas qu’un phénomène de mode.

« Les études, ça m’a remuée »

Son désir de parcourir l’histoire contemporaine des femmes dans l’art, Laure Del Pino l’a rencontré durant ses années de reprise d’études, il y a dix ans. Soucieuse d’évoluer dans son travail et sa vie, elle a passé son baccalauréat, obtenu une licence en arts plastiques, puis un diplôme nationale supérieur d’expression plastique aux Beaux-Arts de Lorient. « J’ai présenté mon diplôme avec mon travail en bandes dessinée mais en le diversifiant. J’avais commencé à travailler sur des artistes s’intéressant à l’identité, et posant des questions sur la place de l’artiste femme – du coup une forme d’arborescence s’est créée, j’ai construit mon mémoire autour. Est-ce que ce travail que des femmes ont fait autour des années 1960 et 1970 pour revendiquer la reconnaissance a servi ? Montre-t-on davantage le travail des femmes artistes dans les musées, les expos ou pas ? En même temps, je parle de moi. » Laure Del Pino souhaitait aussi obtenir par ses études la possibilité d’enseigner et sortir de la précarité financière, les « petits boulots » et les collaborations non payées à des structures indépendantes. La réussite fut là mitigée. Certes, elle enseigne, avec plaisir, à la Maison des Arts de Saint-Herblain, bientôt lié à Nantes dans le Grand Bellevue. Mais la famille ne roule pas sur l’or, et le temps pour le travail personnel persiste à manquer. « Les problèmes de temps, d’espace, d’obligations sont communs aux femmes artistes, » commente celle dont le bureau se trouve sur le palier, là où débouchent les chambres de ses deux enfants. Elle y travaille parallèlement à un site où elle communiquera les étapes et les différentes versions de sa bande dessinée en cours. Quand paraitra-t-elle ? « À un moment, il faudra que je m’arrête ! L’idée, c’est faire plusieurs parties. »

Pour patienter, on peut découvrir des planches de Laure Del Pino dans l’exposition Le grand bédécédaire, à la Maison Fumetti, lieu consacré  à la BD ouvert à Nantes en septembre 2016. Jusqu’au 20 octobre.