Marie-Pierre Duquoc, plasticienne-performeuse

Questionner le travail

Loin de se réfugier dans sa tour d’ivoire, Marie-Pierre Duquoc est une artiste en lien avec le monde réel. Elle part de son vécu personnel pour aller vers le « territoire commun ». Et adopte des formes diverses qui s’entre-alimentent, pour des œuvres en mouvement, adaptables aux lieux et aux personnes qui croiseront leur chemin.  

Formée aux Beaux-Arts d’Angoulême, Marie-Pierre Duquoc ne s’est jamais sentie tout à fait à l’aise dans son « statut d’artiste », marqué par « la culture de l’atelier et de l’objet » : « Il fallait que je trouve comment être au monde avec mon travail de plasticienne. » résume-t-elle. Elle se tourne alors vers « la pratique de l’échange et de la mise en relation », co-crée avec son compagnon l’association Mire et devient chargée de projets culturels.

Cette « mise en veille » de sa création artistique durera une quinzaine d’années, durant lesquelles elle côtoie des artistes tourné.es vers l’expérimentation et facilite l’éclosion de leurs projets. Lorsqu’elle se sent prête à « revenir au geste artistique », la démarche expérimentale inspire ses choix.

 

Avec le réel pour matière

Il s’agit en somme d’une reconversion professionnelle, avec ses doutes, ses tâtonnements, ses temps morts et ses révélations. Parcours ponctué de démarches administratives sous haute surveillance. Marie-Pierre Duquoc décide d’en faire la matière de son projet artistique. Elle intitule son « récit autobiographique » TravaYé! :  « Comme une injonction. Le travail est une organisation qui nous définit au monde. Une grosse partie de notre identité. » Mêlant dessins, organigrammes, textes, la « pièce » TravaYé! décompose le parcours en trois actes : « Je cherche », « J’attends », « Je pense ». Les premières représentations de la performance ont lieu en 2010.

Marie-Pierre Duquoc aime les recherches au long cours et passer plusieurs années à fouiller une thématique. Elle poursuit son travail sur le travail avec un nouveau projet, Chant'Yé! : « Le travail nous met en chantier, à la fois dans son déroulement et pour en trouver. J’ai déplacé le « je » de TravaYé! à d’autres « je ». Je voulais aussi toucher la question du groupe de travail. »

 

 

Un habit qui nous va

La performeuse s’adresse au chantier d’insertion professionnel Créafibres situé au Mans, qui regroupe une dizaine de femmes autour de la couture. « Il s’agit d’un accompagnement au retour à l’emploi, doublé d’un travail sur l’image de soi. La question du travail y est mise en chantier. Les femmes y sont mises “en conformité” pour entrer dans la productivité. » Le chantier propose un atelier de retouches et de prêt à porter créatif basé sur le recyclage. Les salariées conçoivent, deux collections saisonnières de prêt-à-porter. Consigne : fabriquer un vêtement qui leur va. Et dans lequel elles défilent à la fin de la saison.

L'immersion de Marie-Pierre Duquoc dans le chantier a été favorisé par Laurence Denis, encadrante technique et directrice artistique du projet. Elle leur rend une visite mensuelle de février à juillet 2012. Elle filme leur défilé d’hiver, leur présente son projet, puis leur commande un habit de travail – en l’occurrence, un habit de performeuse. « Il n’y avait plus d’intermédiaire à la commande. Elles devenaient coproductrices de mon travail. » Comme base, elle leur propose les motifs élaborés pour TravaYé!

Le résultat sera un « beau vêtement très chic », composé d’un manteau réversible et d’une robe blanche toute simple. Pour les orner, « les femmes ont travaillé sur mes motifs, à partir des émotions traversées lors de la recherche d’un travail. C’est, selon leurs mots, un vêtement qui raconte une histoire. » Marie-Pierre Duquoc l’endosse pour participer au défilé d’été, puis l’adopte pour présenter ses performances.

 

Dessine-moi mon parcours

Avant de quitter le chantier, Marie-Pierre Duquoc souhaite apporter aux participantes « quelque chose qui leur appartienne en propre. » Elle propose de faire pour chacune un foulard racontant son parcours. « J’ai fait des entretiens individuels. Je leur ai demandé de raconter ce qu’elles avaient envie de voir en images. Chacune a attrapé le mot “parcours” à sa façon. Mais je suis restée axée sur la vie professionnelle, dans le cadre de ce qui pouvait se raconter publiquement. Pendant qu’elles parlaient, je dessinais. »

Cela a donné dix foulards aux dimensions du « carré Hermès », dont chacune a choisi la couleur de fond. Pour schématiser les parcours individuels, Marie-Pierre Duquoc use d’un lexique des activités quotidiennes qu’elle a élaboré sous la forme de pictogrammes, dont le petit personnage indiquant les toilettes pour femmes, qu’elle s’amuse à animer. En quelques signes, elle résume ainsi l’essentiel d’un vécu au moment où elle l’a saisi : la course matinale qu’impose un long trajet, la négociation avec une maladie invalidante, l’accumulation d’expériences enrichissantes mais infructueuses...

Les foulards ont été imprimés en trois exemplaires : un pour sa destinataire, un d’archivage et un pour l’expo/performance qui poursuit l’aventure.

 

Une partition en mouvement

Outre le recueil de paroles et les dessins, elle a filmé et photographié les gestes du travail. Elle les a « partitionnés » avec la contribution de la chorégraphe Fabienne Compet. Puis elle a cherché des amateurs pour les interpréter et les représenter dans d’autres espaces de travail. Jouées en présence des usagers des lieux dans un foyer de jeunes travailleurs, des chantiers d’insertion non axés sur la couture, un restaurant social de quartier, un atelier de recyclage de meubles, ces pièces dansées ont été filmées et ont donné quatre courtes vidéos.

Marie-Pierre Duquoc a confié les textes écrits à partir des entretiens, auxquels se mêlent des extraits de textes administratifs, au musicien Pierre Lange. A charge pour lui de les transformer en un chant, qui accompagne les vidéos. Elle tenait à ce que ce chant soit impérativement interprété par un chœur d’hommes, « parce que cette histoire n’est pas qu’une histoire de femmes, elle concerne tout le monde. Je voulais qu’elle soit portée par des hommes. »

Dessins, foulards, vidéos, composent une exposition/performance qui va être donnée à la Maison des Arts à Saint-Herblain. Et bien sûr, au Mans, pour les femmes du chantier d’insertion. Tout comme elle avait laissé une place à l’imprévu dans la conception de son projet, Marie-Pierre Duquoc ne le considère pas comme achevé. « Mes travaux sont en kit. Ils évoluent avec le temps et les lieux. »

 

 

L'exposition ChantYé! sera présentée du 7 novembre au 20 décembre 2013 à la Maison des Arts (26, rue de Saint-Nazaire - 44800 Saint-Herblain).

Vernissage le 6 novembre à 18h30.

 

Pour mieux connaître le travail de Marie-Pierre Duquoc :

 

mp.duquoc@free.fr
http://mariepierre.duquoc.free.fr/chez/
http://www.collectifr.fr/reseaux/marie-pierre-duquoc
http://shagaï.net