S.F. versus patriarcat

La science-fiction n’est certes pas un genre littéraire où l’on traite prioritairement de la question du genre. Cependant l’universitaire et écrivaine Anne Larue l’a choisie pour transmettre par la fiction ses convictions féministes. 

Anne Larue faisait partie des auteur.es invité.es aux Utopiales, le Festival international de science-fiction qui se déroule en novembre à Nantes depuis 2000. Lors d’une rencontre modérée par Sara Doke, elle a répondu aux questions du public.

Directrice du master pro « Métiers culturels du Texte et de l’Image » à Paris 13, historienne de l’Art, peintre, Anne Larue est surtout connue pour ses essais traquant ce qu’elle appelle la Patriarquie[1], partout où elle sévit, c’est-à-dire partout. C’est, dit-elle, « de façon bizarre » qu’elle devint écrivaine de S.F. : « Je voulais montrer aux étudiant.es qu’il y avait des choses bien dans la littérature classique, et également dans la littérature S.F., de fantaisie, policière... ». Anne Larue se passionne pour la S.F., a déjà écrit des nouvelles ; logiquement, son initiative pédagogique donne naissance au roman La Vestale du Calix, publié aux éditions nantaises de l’Atalante en 2011.

Juste humain.e

Premier signe distinctif de La Vestale du Calix : deux héroïnes se substituent au héros de rigueur. « On a pu me dire : il n’y aucun personnage  masculin sympa dans ton roman. Et j’ai dit : mais si, il y a le cheval, vous avez bien vu, c’est lui le masculin. Il n’est pas homme, parce qu’il ne peut pas être un homme. Les hommes sociaux  sont méchants. Le cheval, c’est l’espoir  d’un homme non social, qui soit un vrai homme, une vraie puissance masculine et pas un pouvoir idiot, complètement  héroïque. » Anne Larue affirme ne pas avoir réfléchi en terme de féminisme en faisant ce choix ; elle avait juste envie de gérer une intrigue avec deux personnages principaux au même niveau. « Ça n’était pas du tout une histoire de filles ! Mais les gens m’ont dit : c’est un ovni ! C’est des filles ? Mais non, pas dans les romans de S.F. Les filles, c’est la fantaisie, c’est les vampires, ce n’est pas la S.F., tu n’es pas dans le bon genre. Toujours la question du genre. »

« La S.F. est super genrée », affirme Anne Larue. Elle évoque une pionnière, l’Américaine Anne McCaffrey, qui dans les années 1960, avouait sa lassitude d’être « la seule femme dans un monde de mecs ». D’où son grand étonnement d’avoir été chaleureusement accueillie dans le monde de la S.F. : « J’ai trouvé des gens vraiment bien. Alors j’ai aimé les gens plus que les œuvres. C’était un milieu intéressant avec des gens qui avaient des choses à dire. » L’écrivaine souligne que S.F. féminine et S.F. féministe ne se recoupent pas immanquablement, et qu’il y a des « hommes féministes en S.F. ». Elle ajoute que « ce serait idiot de dire “nous les femmes“. Il ne s’agit pas de prendre pour soi ces dénominations qu’on nous impose. Alors que c’est justement ce qu’on nous impose qui détruit notre capacité vitale. »

« Se voir soi-même, autrement qu’à travers tous ces modèles qu’on nous impose et qui sont tous masculins » s’inscrit dans les priorités d’Anne Larue. Elle fustige « l’héroïsation du passé » : « L’odyssée humaine, c’est quoi ? Ces pauvres races de singes méchants qui ont gagné, comme l’algue verte a colonisé la mer ? Pour moi, cette héroïsation débile patriarcale héroïco-stupide, ça continue. Chaque fois que je vois l’image du petit singe roulé en boule qui se déplie, et qu’à la fin, il y a un mec, je dis : ça suffit, on a assez vu ça. » Elle peste contre la langue française, si lourdement genrée. Elle moque la prétendue différence entre les cerveaux féminin et masculin, et recommande la lecture des travaux de la neurobiologiste Catherine Vidal[2]. Farouche ennemie de l’essentialisme, Anne Larue considère que le combat des sexes n’a existé que comme étape du féminisme : « Si on est dans le combat, ça veut dire qu’on est dans la binarité. Toi Tarzan, moi Jane. Je pense qu’on a dépassé ce stade dans la réflexion. Quand on est en train de travailler, quand on jardine, on fait de la cuisine, on n’est ni un homme, ni une femme ; on est juste un humain qui fait quelque chose. » Néanmoins, en tant qu’historienne de l’art, notamment avec le groupe UBI [K], elle œuvre à raviver la mémoire de femmes, artistes ou mécènes, dont l’œuvre ou l’influence ont été passées sous silence.

 

Expositions Photos : Marianne Wasowska-Fauchon et Camille M

Pourquoi la science-fiction ?

Rencontrer une universitaire féministe passionnément engagée dans le monde la S.F., où les héros et les stéréotypes pullulent, étonne. « C’est un domaine ouvert aux Et pourquoi pas, Et si, explique Anne Larue. J’y suis venue par Robert Merle, ça peut paraitre étrange. C’est l’humain du Et si : Et si les dauphins parlaient… Et si on faisait sauter la Terre et qu’on créait un communisme agraire, est-ce que notre  société s’en remettrait... Et si les hommes mouraient d’une puissance  de spongiformie  bovine et que seules les femmes survivaient,  qu’est-ce qu’il se passerait ? »

Anne Larue déclare avoir de l’espoir dans la S.F. « J’inclus dans la S.F. tous les mouvement de l’imaginaire, toute une culture qui ne s’oblige pas à être dans l’espèce de paterne traditionnelle super pénible. » Au début de sa vie professionnelle, elle fut « prof de lettres ». Elle se souvient qu’on « trouvait dans les programmes littéraires des choses abominables qui étaient  transbahutées. Plus aucune liberté n’était donnée aux profs de choisir leurs textes comme avant. Donc pour moi, au départ, ça a été une lassitude absolument immense. Non pas de cette littérature elle-même, mais du discours qui l’accompagnait. La S.F., ça a été : “De l’air, de l’air !“ comme crient  Deleuze et Guatarri  au début de l’Anti Œdipe. Sortons, sortons, même si c’est chez les fous,  même si c’est chez les schizophrènes,  mais sortons de ce cabinet étouffant de traditions patriarcales et morbides ! »


[1] Derniers ouvrages parus : La femme est-elle soluble dans l’eau de vaisselle ?, Chiflet et Cie, 2008 ; Fiction, féminisme et post-modernité. Les voies subversives du roman contemporain à grand succès, Éditions classiques Garnier, 2010 ; Dis, Papa, c’était quoi, le patriarcat ?, Ixe, 2013 ; Histoire de l’art d’un nouveau genre, Max Milo, 2014.

[2] Directrice de recherche à l’Institut Pasteur, Catherine Vidal est une scientifique féministe engagée. Ses travaux l’ont conduite à affirmer qu’il n’existe aucune différence anatomique entre les cerveaux des fœtus filles ou garçons, hormis concernant le contrôle des fonctions physiologiques de la reproduction. Ce qui revient à conclure que le sexe biologique ne suffit pas à faire une femme ou un homme. Pour en savoir plus, on lira l’un de ses ouvrages : Hommes, femmes : avons-nous le même cerveau ?,  éditions Le Pommier, 2007.