Bio pour tout le monde !

Exploitante agricole à Bourgneuf en Retz, Mireille Friou est passée au bio depuis quelques années. En venant chaque semaine proposer ses produits au Centre socio-culturel des Bourderies (ACCOORD) à Nantes, elle veut mettre le bon à la portée de toutes les bourses, ou presque.

 

C’est leur fils Benjamin qui a convaincu Mireille et Jean-Claude Friou, maraîchers « conventionnels » de passer à l’agriculture biologique. Une conversion en douceur, puisque le couple possédait déjà et le matériel professionnel et le savoir-faire. A la tête d’une douzaine d’hectares, ils n’en exploitent que huit ou neuf en alternance : « Il faut une rotation pour que le sol se repose et éviter les maladies. » Jean-Claude a depuis pris sa retraite. Mireille Friou continue avec son fils, au sein d’un GAEC (Groupement agricole d’exploitation en commun).

Elle se déclare satisfaite du changement, qui lui procure un travail plus varié, même s’il impose de nouvelles difficultés. Plus encore qu’en conventionnel, les exploitants sont « dépendants de la météo » et, refus des herbicides oblige, mènent une lutte inégale contre les « envahisseurs ». Cette année par exemple, le millet, graminée comestible dont les qualités, prolifération et résistance, deviennent des défauts quand on n’en fait pas la culture, a envahi les champs de panais : le savoureux légume racine manquera à l’appel. Mireille Friou constate calmement que « certaines cultures ratent parce qu’on a pas pu les faire à temps. » Le consommateur doit, lui aussi, accepter ces contraintes : quand on choisit le bio, on ne mange pas forcément ce qu’on veut quand on le veut. « Ce sont des produits de saison. C’est le principe. », rappelle Mireille Friou.

 

Gagnant-gagnant – pour de vrai !

Si personne ne conteste la saveur et la fraicheur des légumes bio, on leur reproche, à juste titre, un prix d’achat qui réserve leur consommation aux plus argentés. Mireille Friou et son fils ont diversifié leur distribution pour parvenir à des prix qui satisfassent à la fois producteurs et consommateurs : « On ne peut pas fermer complètement la porte aux revendeurs. Au printemps surtout, quand on a des grosses récoltes, on répond à des commandes à Rungis – pas plus loin ! Ça aide à faire tenir la structure et à garder nos trois salarié.s à temps plein sur l’année. Le reste, c’est de la vente directe. Le prix de vente est plus avantageux pour nous qu’auprès des négociants. Et le consommateur achète ses légumes bio au même prix que des produits de l’agriculture conventionnelle. Beaucoup moins cher qu’en magasin bio, et plus frais puisqu’ils sont récoltés du jour.  Ça permet à des personnes qui n’ont pas de gros moyens de manger bio. » Un aspect de la question qui tient particulièrement à cœur à Mireille Friou.

L’exploitation fournit trois AMAP (Association pour le maintien de l’agriculture paysanne) nantaises. Les étudiants de plusieurs écoles bénéficient d’un panier à 4 € avec un abonnement interrompu pendant les vacances. S’ajoutent des crèches, et quelques entreprises – débouché que Mireille Friou ne souhaite pas particulièrement développer, car difficile à mettre en place et plutôt fluctuant. Cette diversification lui plaît, mais elle ne s’endort pourtant pas sur ses lauriers : « Il faut perdurer. On est obligé de se remettre sans cesse en question. »

 

Un rendez-vous hebdomadaire

Bien qu’innovant, sympathique et efficace, ce mode de distribution n’a pas entièrement satisfait le désir de Mireille Friou de mettre le bio à la portée de toutes et tous. Les AMAP reposent sur un principe d’engagement semestriel ou annuel, concrétisé par la signature d’un contrat entre producteurs et adhérent.es, qui implique un abonnement et un paiement d’avance par chèques, même si échelonné. Cet engagement, les personnes aux faibles revenus ne peuvent pas, ou n’osent pas, se le permettre.

Aussi Mireille Friou a-t-elle mis au point une formule plus souple au Centre socio-culturel des Bourderies, avec la complicité de sa directrice Nadine Guello, à l’origine de l’initiative.  Tous les mardis en fin d’après-midi, elle y propose ses légumes. Pas de contrat avec la productrice, mais un contrat moral auprès du centre : chacun.e s’engage à participer à tour de rôle aux distributions (aider à décharger, installer, démonter le stand, tenir la caisse...) ou à une autre activité du centre (animation d’un atelier, aide à l’organisation d’un événement...) « C’est ce qui leur ouvre le droit à venir chercher un panier. Bien sûr, il y a des gens plus actifs que d’autres, mais dans l’ensemble, ça roule. » Les usager.es, des habitant.es du quartier, ne sont pas tenus de venir toutes les semaines : « Ils viennent quand ils peuvent, ils n’ont pas d’avance à faire, ils paient au fur et à mesure, en espèces en général. » Seule obligation : prendre un panier composé à 4 €. Celles et ceux qui le souhaitent peuvent compléter avec des légumes vendus « à la carte », au kilo. Quoique Mireille Firou, toujours soucieuse de « se mettre à l’écoute des clients », ait installé une « table d’échanges » où l’on peut déposer les produits du panier qui ne plaisent pas et en prendre d’autres en quantité équivalente. Dans le même esprit, elle varie au maximum la composition de ses paniers, en « échelonnant les moins aimés : les choux, le céleri, les topinambours... ».

La distribution aux Bourderies a commencé doucement. « Il y avait une petite réticence des commerçants, puis ils se sont aperçu qu’on ne leur causait pas de tort. Au contraire, créer de l’animation profite à tout le monde dans un quartier. » Puis le succès est venu, grandissant : « Au début, j’avais une quinzaine d’habitués. Aujourd’hui, on tourne à vingt, vingt-cinq paniers. Des recettes non négligeables ! », souligne la productrice. La distribution du mardi est devenue un « point de rassemblement. Une certaine sympathie s’est créée. C’est un moment privilégié. Les gens bavardent en faisant la queue. On échange des recettes. » Mireille Friou insiste sur l’importance de cet échange, tout aussi utile  que convivial : en effet, nombre d’usager.es découvrent non seulement le bio, mais la consommation régulière de légumes variés. « Je suis très fière de ça, avoue-t-elle. Je vois qu’ils apprécient, ils me le disent, et ça me fait plaisir. »

Elle confie cependant une déception : « Le projet était  aussi conçu pour les habitants des “barres” de la cité, en grande partie des immigré.es. Au début, ils sont venus. En hiver, je ne les ai pas revus. J’ai pensé qu’ils reviendraient pour les légumes d’été, qu’ils avaient peut-être plus l’habitude de cuisiner. Mais ils ne sont pas revenus. » Pourquoi ? Mireille Friou se le demande toujours. « Peut-être est-ce encore trop cher pour eux ? », avance-t-elle. Le droit à une nourriture saine et de qualité n’est pas encore universellement acquis – et ça, ça n’est plus du ressort de Mireille Friou.