Un homme sur deux est une femme

Le village de Néoules, Var, a inscrit la Journée Internationale des Femmes dans son Agenda21. L’occasion d’organiser, le 7 mars 2015, un événement chaleureusement féministe.

 Photos : Thierry Pen Du

Un homme sur deux est une femme : un vieux et célèbre slogan féministe moquant l’utilisation en français du nom « homme » au prétendu neutre. Comme dans l’expression « droits de l’homme », pour citer le plus flagrant exemple. A l’origine de la Journée, Joëlle Palmieri, chercheure en sciences politiques, coauteure avec Dominique Foufelle (d’Émulsion) de Les Pénélopes – Un féminisme politique. Dans l'équipe, des femmes aux histoires singulières, mobilisées pour défendre leur libre choix.

Floja Jam, street painter

Jamila Hamaïda pour l’état civil, Floja Jam pratique un art nouveau, le street painting. Autrement dit, de la peinture au sol, volontairement éphémère, en interaction avec le public. « Il y a peu de femmes, commente-t-elle. D’ailleurs, il y a peu de street painters en France. Mais ça commence à prendre. » Elle était là dès 10h le matin, pour tracer les dessins que, plus tard, les visiteur.ses colorieraient à la craie.

Artiste-décoratrice, formée en communication visuelle, Floja Jam a découvert le graff et le street art durant ses études à Marseille. Et le street painting lors du festival de Toulon, où elle a remporté le prix « figure libre » en 2011 et 2013. Depuis trois ans, elle parcourt les festivals du monde et acquiert de la technique. Elle s’intéresse nouvellement au dessin en 3D. L’art participatif qu’est le street painting se prête très bien aux interventions auprès des jeunes. Floja Jam y initie les enfants de centres de loisirs et propose des ateliers, à Toulon, où elle vit, et dans la région.

Fabienne Lacroix soutient les jeunes artistes

Flora Jam fait partie des jeunes artistes que représente Fabienne Lacroix, créatrice et directrice du Bazar du Lézard à Brignoles. Elle travaillait au sein d’une structure départementale promouvant le spectacle vivant, soutenue par le ministère de la Culture, à laquelle le retrait financier du Conseil général fut fatal. Alors... « J’ai pris mes indemnités de licenciement et, soutenue par mon mari, j’ai acheté un lieu à Brignoles, que j’ai restauré avec mes petites mains. »

Le Bazar a ouvert en décembre 2011. C’est à la fois une boutique, une galerie, et un lieu ressources pour « des collectivités qui veulent changer la vie d’un quartier en y emmenant des artistes. » Fabienne Lacroix a fait sien le concept d’art modeste créé par Hervé di Rosa et ses ami.es. Comprenez une démarche de démocratisation de l’art. Pour cette raison, elle a écarté le terme intimidant de « galerie ». Dans la vitrine, ce qu’elle appelle des « colifichets », bijoux et petits objets artistiques, tous réalisés par de jeunes artistes locaux avec des matières recyclés, tous uniques et tous à prix « modeste », arrêtent la passante ou le passant. En pénétrant dans ce lieu atypique qui a la forme d’un long couloir, on découvre l’exposition du moment. Au fond, on fait connaissance avec les artistes « ami.es ». Fabienne Lacroix fait visiter la boutique et présente les artistes. Elle veut un « public confiant » et ne cherche pas systématiquement à « capter les gens ».

Parallèlement, elle s’occupe de jeunes artistes de la région. Elle les accompagne, les conseille, propose les interventions de sa B.I.P. (Brigade d’intervention plastique), monte les dossiers et va « chercher les sous ». Sur ce point, elle reste fidèle à sa ligne de conduite : « Aucun artiste ne travaille bénévolement. Je les rémunère. Je sais qu’ils travaillent beaucoup. » Inutile de demander à Fabienne Lacroix une prestation dont la gratuité sera hypothétiquement compensé par un éclairage médiatique !

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Dominique Fabre, alias Minet Pape

Dans l’espace expo, Fabienne Lacroix a accroché des œuvres d’artistes femmes qu’elle soutient : Élise Picot, Magali Soppelsa et Floja Jam – car la street painter travaille aussi sur des supports plus classiques.

Dominique Fabre expose quant à elle ses créations signées Minet Pape. Celle pour qui « le plus joli cadeau de Noël était une boîte de crayons de couleurs » travaille sur bois, sur toile, sur céramiques et sur ordinateur. Elle dit n’avoir qu’un sujet : les gens du monde. Elle peint souvent des groupes – dont l’un a servi de fond pour l’affiche de la Journée à Néoules. Elle utilise des tissus de monde, dont elle découpe des morceaux et sur lesquels elle peint ensuite des personnages. Ce travail se fait dans le cadre apaisant de Montmeyan, à deux pas des gorges du Verdon.

Élodie Brun, une nouvelle peau de libertaire

Deux médiathèques ont prêté pour cette journée des livres traitant de la condition sociale des femmes, des luttes des femmes, de femmes qui ont marqué leur temps. Élodie Brun tient le banc. Elle sort d’une lutte qui l’a fondamentalement transformée.

Elle était assistante contrôleuse de gestion à l’usine Fralib à Gémenos, dans les Bouches-du-Rhône. On y fabriquait les thés « de l’Éléphant » jusqu’à ce que le propriétaire, la multinationale Unilever, décide de délocaliser sa production en Pologne. La fermeture est annoncée en juillet 2010. Commence alors une lutte à laquelle Élodie Brun participe très activement. « Un projet de Scop, société coopérative et participative, est né. J’avais beaucoup d’idées, des idées libertaires. Mais j’ai eu des problèmes avec les autres, qui voulaient rester dans un système pyramidal. » Les « autres », ce sont les militants de la CGT, qui dirigent le mouvement. « On m’a bloquée à chaque initiative », se souvient Élodie Brun. Au bout de deux ans, elle décide de partir. Dommage pour le projet car « j’étais la seule à avoir des compétences en gestion. Je leur souhaite quand même de réussir. »

Cette expérience l’a faite changer en profondeur. « J’ai pris des responsabilités. Ça m’a donné le courage de m’imposer aussi dans mon couple. » Plus question pour elle de se laisser freiner par un mari envahissant. « Il doit s’adapter, dit-elle. J’ai pris une décision définitive. »

Régine Gallesco, objectif qualité

En soutien à tous les postes depuis le matin, Régine Gallesco a quand même pris le temps d’une petite randonnée. C’est, avec le chant, ce qui apporte à sa vie la qualité à laquelle elle tient tant. « J’ai été mariée trente ans avec un militaire, raconte-t-elle. Je n’avais jamais travaillé. » Il lui aura fallu trois tentatives avant d’enfin quitter son conjoint et opérer un changement de vie total. « Je suis une femme libre depuis mes 50 ans ! », se réjouit-elle.

À 45 ans, elle est retournée à l’université et a acquis en un an un diplôme d’écrivaine publique. Elle a alors monté le Relais de l’écriture. « J’ai arrêté cette activité deux ans après, car je ne gagnais rien ! J’ai animé un atelier d’écriture, mais le groupe restant le même, il devenait difficile de se renouveler. J’ai arrêté aussi. » Elle a finalement trouvé son bonheur en s’occupant de personnes âgées. « Mais en indépendante. Je ne travaille pas pour une association. Je ne suis jamais liée par un contrat. Si ça ne va plus, si les relations deviennent difficiles, je le dis et je m’en vais. » Cette simplicité surprend. Notamment un vieux monsieur très autoritaire, pas du tout habitué à essuyer une opposition. Son indépendance permet à Régine Gallesco d’établir directement son programme avec ses client.es. Certes, elle nettoie ; mais aussi elle jardine, passe un coup de peinture, fait la lecture, et pour une dame de 95 ans, organise des sorties d’anniversaire. Elle a choisi de ne travailler qu’à mi-temps. « Pour avoir une qualité de vie. Tout le monde ne peut pas le faire, admet-elle. Moi, j’habite dans une maison donnée par mes parents. J’ai un toit au-dessus de la tête, ça change tout. La sécurité rend les choses possibles. » La fréquentation des personnes âgées lui apporte de nouveaux éclairages, ce qu’apprécie cette amatrice de philosophie. « Je dirais qu’on se nourrit mutuellement. »

Manon Clef-Giraud, la passion du rugby

Près du banc de livres, deux ordinateurs où l’on peut visionner des courts métrages, pour la plupart réalisés par des jeunes de la région, et défendant l’égalitéE. Parmi eux, deux évoquent le rugby féminin : un montage de photos de l’exposition Ovalie, réalisée par Émulsion ; une présentation enthousiaste de l’équipe féminine du club Val d’Issole, créée en 2006. L’équipe s’appelle Li Chata Pica. « On m’a dit que ça voulait dire “les filles folles“ », rapporte Manon Clef-Giraud, une jeune joueuse qui s’est investie pour que son équipe participe à la journée. Elles ont pour mission de colorier la fresque de Floja Jam.

Manon Clef-Giraud a « toujours aimé le rugby ». Elle avait 7 ans quand elle a vu son premier match, « et je n’avais plus que ça dans la tête ». Cependant, elle a dû attendre sa majorité pour enfin pratiquer : « Ma mère ne voulait pas. Elle avait peur. À cause de la violence du jeu et des risques. » Elle qui fait aussi du football affirme que, compte tenu des protections que portent les joueuses, « on se fait plutôt moins mal au rugby, même si ça arrive ». Dans Li Chata Lica, il y a des femmes de 18 à 43 ans, et « toutes les morphologies ! », insiste Manon Clef-Giraud. Parmi celles qui se forment pour la relève, la plus jeune a 8 ans. L’équipe joue à sept. Pas assez de candidates pour jouer à quinze. Pourtant, la passionnée qui, en tant qu’animatrice, initie des enfants au ballon ovale, affirme que « le rugby plaît aussi aux filles. » Elle se désole que le rugby féminin ne soit pas plus soutenu : « L’équipe de France féminine a de meilleurs résultats que l’équipe masculine, plaide-t-elle. Elle a fini troisième à la dernière coupe du monde. Mais seuls les hommes sont professionnels. Les femmes doivent prendre un congé sans solde pour les matchs. » Elle prend désormais plus de plaisir à regarder un match féminin. Elle voit toutefois un risque à la médiatisation des rugbywomen : qu’elles se « prennent  la tête », comme les hommes, au détriment de la beauté du jeu.

Voir les vidéos, dont un nouveau montage des photos de l'exposition Ovalie

Irène Jaffre, en lien avec les gens

« Ça ne devrait pas être juste une journée ! » proteste Irène Jaffre, conseillère municipale à Néoules, qui s’est pourtant proposée pour œuvrer à la réussite de ce 8 mars dès le lancement du projet. Elle a connu des « galères professionnelles » dont elle considère aujourd’hui qu’elles relevaient du sexisme. Elle a une expérience de vie en banlieue parisienne, avec des femmes qui « ne vivaient pas comme elles le voulaient. » Elle dit des hommes « ils sont quand même obtus ! », tout en se déclarant « interloquée devant les réactions agressives de certaines femmes. »

Irène Jaffre venait de Gironde quand elle est arrivée à Néoules, il y a quatre ans. Elle avait été gestionnaire commerciale, puis tenu un bar-tabac. Elle venait avec une amie pour monter un projet de chambres d’hôtes. Elles ont fait construire une grande maison neuve, poursuivent les travaux d’intérieur tout en peaufinant le projet ; elles prévoient table d’hôte et séjours à thème. Rapidement, Irène Jaffre s’est sentie à l’aise dans le village, s’est liée au réseau associatif et à la municipalité. Aujourd’hui conseillère, elle fait partie de la commission événementielle, de la commission urbanisme, et suit la réalisation du Centre socio-culturel, bientôt ouvert à Néoules. Elle a trouvé récemment un emploi au Syndicat intercommunal d’élimination et valorisation des déchets. Elle y est ambassadrice de tri, en relation avec les particuliers et les communes. « Je ne suis pas animatrice à la base, explique-t-elle. Mais j’aime être en lien avec les gens. » Elle a toujours souhaité travaillé dans la communication, la voici satisfaite. Durant l’événement, elle accueille les unes et les autres. Puis elle anime le débat qui suit la projection du film Tomboy, de Céline Sciamma.

Nadjet Benzohra, insertion libre

La journée s’est clôturée sur un dîner concocté par Le petit prince, entreprise d’insertion gérée par l’Association varoise de l’insertion par l’économie, l’Avie. A l’origine et au cœur de cette structure, Nadjet Benzohra.

Cette Algérienne est venue en France en 1988, munie d’un diplôme d’ingénieure agronome. Elle pensait trouver aisément du travail – mais fut vite détrompée. « Alors, je me suis dit : si moi, qui n’ai pas de barrière de langue, je ne trouve pas de travail, qu’est-ce que ça doit être les autres ! » Elle fonde l’association Femmes dans la cité et cerne le problème : « Les femmes nous disaient qu’elles avaient des savoir-faire, mais n’arrivaient pas à les faire reconnaître. » De là naît l’idée d’une entreprise d’insertion. Qu’elle soit gérée par une association est un choix : « Personne ne vient nous casser les pieds pour qu’on fasse des bénéfices. On a choisi de partager. Tout le monde est salarié. Il n’y a pas de bénévoles, sauf quelques-un.es dans l’Avie. » Lancé en 1994, le projet s’est concrétisé, après maints obstacles, en 2001. « On nous donnait un an de durée », s’amuse Nadjet Benzohra.

Quatorze ans plus tard, l’entreprise fonctionne toujours. Les personnes ont un CDDI pour deux ans, au long duquel elles recevront une formation, ou seront guidées pour approfondir leur projet professionnel. Cependant, si elles obtiennent une offre d’emploi, ou veulent suivre une formation, elles peuvent quitter l’entreprise ou y rester en alternance. Vingt-deux salarié.es travaillent et se forment dans deux restaurants et un « point chaud », à La Seyne-sur-Mer et à Toulon. Les chef.fes (un Français, une Africaine, une Maghrébine), formé.es par l’association, sont resté.es pour assurer une constante dans la cuisine. Le pâtissier, à la retraite, vient former les jeunes. Les autres tournent. « Mais on garde le contact, précise Nadjet Benzohra. Ça boucle ! »