Anne Bouillon, avocate

Défendre des causes et des individus

La réputation féministe d’Anne Bouillon fait que beaucoup de femmes choisissent de s’adresser à elle pour des affaires familiales et/ou de violences. Mais elle se défend d’être « l’avocate des femmes » : « Je défends tous ceux qui ont besoin d’être défendus ».

 

Anne Bouillon dit être devenue avocate « par le hasard des rencontres». Ayant achevé son cursus universitaire sur un DESS en droits humanitaires, munie d’un diplôme de juriste mais économiste de formation, elle est partie pour le Liban, puis la Roumanie, enfin la Bosnie.

Elle arrive à Sarajevo en 1996, juste après les accords de Dayton, dans une ville qui vient de subir quatre années de siège. Elle travaille pour l’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe). « Notre boulot, c’était de démilitariser, créer des structures économiques, organiser des élections pour que la démocratie fonctionne. »

Puis en 1999, sa mission s’achève. Renouveler ou partir ? Anne Bouillon se pose la question. « Le monde de l’expatriation est très particulier. J’ai rencontré beaucoup de vieux expats’ déracinés et amers. » Elle décide de rentrer à Marseille, son port d’attache à l’époque. En Bosnie, elle a côtoyé beaucoup d’avocats. « Tous les anglo-saxons étaient avocats. Alors, je me suis dit : pourquoi pas moi ? Je me suis donné une chance.»

 

 

Une éthique professionnelle

De retour à Marseille, Anne Bouillon s’enferme dans un appartement et travaille d’arrache-pied pour passer l’examen d’entrée au Centre de formation professionnelle des avocats. Elle l’obtient, en grande partie grâce à sa « mémoire d’éléphant, bien utile, voire indispensable dans ce métier », précise-t-elle. Son expérience professionnelle lui a aussi été d’un soutien précieux. « J’avais gardé ma coloration militante. Je devais repartir en Macédoine. Finalement, je me suis inscrite au Barreau de Marseille. » Elle a prêté serment le 3 janvier 2001. « Je n’ai plus jamais arrêté et je ne regrette pas. »

Elle fait ses premières armes dans le cabinet de Maître Dany Cohen, un avocat militant des droits humains. Durant ces deux années, Anne Bouillon prend conscience que son métier offre l’opportunité de s’engager. « On peut défendre une cause à travers un individu, même si l’individu n’est pas toujours à la hauteur de la cause. Je me suis forgé une éthique professionnelle. »

La question des femmes ne se posait pas encore pour elle. Sa rencontre avec l’association Esclavage, tolérance zéro change la donne. « Je suis intervenue sur des situations d’esclavage domestique, qui ne correspondait encore à aucune infraction définie. J’ai défendu deux jeunes filles victimes de violences, entre autres sexuelles. Là, j’ai fait le constat que les femmes n’étaient pas toujours les égales des hommes devant la justice. » De ce constat naît une conviction féministe : « Dans cette société patriarcale, les rapports de domination font que les femmes ont un accès parfois plus difficile aux études, à une carrière professionnelle, parfois même aux soins et en tout cas subissent des discriminations salariales inexplicables autrement que par leur condition... C'est aussi plus compliqué d'être une femme devant l'institution judiciaire. Financièrement déjà les femmes plus que les hommes demandent à bénéficier de l'aide juridictionnelle. Parfois elles ne se sentent pas entendues. En fait c'est souvent plus compliqué d'être une femme tout court!".


 

Les prostituées, vulnérables parmi les vulnérables

Installée à Nantes depuis 2003, Anne Bouillon traite des affaires familiales et plaide au pénal dans des affaires de violences, défendant des auteur.es. comme des victimes. Il lui arrive, comme à tout.e avocat.e, de défendre des personnes, des deux sexes, ayant commis des choses condamnables. « Je suis toute aussi attentive aux hommes que je défends avec conviction. Mais clairement, j’ai un engagement particulier auprès des femmes, car elles sont souvent plus vulnérables. ». Douze ans de pratique lui ont confirmé que « l’inégalité n’est pas un vain mot ». Cette sensibilité étant connue, des associations de défense des droits des femmes s’adressent souvent à elle.

Contactée par Les Amis du Bus des Femmes à Paris ou Médecins du Monde à Nantes, elle s’est ainsi occupée de prostituées. « Elles ont particulièrement besoin d’être défendues car ce sont les moins entendues parmi les femmes. » S’agissant d’étrangères, il s’agit de leur obtenir des papiers, « et ça n’est pas facile ! ». Anne Bouillon s’élève avec véhémence contre le délit de racolage, dont elle rappelle qu’il menace n’importe quel individu, et qu’elle qualifie de liberticide. « C’est un scandale ! Ces femmes subissent une double peine : non seulement elles sont exploitées mais elles sont traitées comme des délinquantes. Les juges entendent et ils prononcent fréquemment des relaxes. » L’abrogation de ce délit est d’ailleurs actuellement en débat.

Autre enjeu majeur : la protection des prostituées qui décident de dénoncer le réseau dont elles sont victimes en se constituant partie civile. « La justice a intérêt à ce qu’elles parlent. Mais cela les met dans une situation de vulnérabilité absolue, elles et leurs familles. » Anne Bouillon insiste aussi sur la nécessité de réparer le préjudice. « Cela veut dire qu’il faut quantifier le dommage, et donc détailler l’impact de la contrainte prostitutionnelle sur l’ensemble des circonstances de la vie : la santé, la sexualité, la perte des activités habituelles... Il faut en outre exiger des proxénètes le remboursement des sommes qu’ils ont extorquées. » Pour appuyer cette demande, elle a exhumé une très vieille jurisprudence de 1945 et l’a appliquée à ses clientes. Confirmée par une Cour d’appel, sa proposition n’est plus contestée. « C’est une belle victoire, se réjouit-elle. Remettre les compteurs à zéro rétablit ces femmes dans leur dignité. C’est essentiel pour se reconstruire. Cela leur permet d’envisager un futur possible.» D’expertises en audiences, les affaires s’étalent souvent sur plusieurs années, « mais ça marche ! »

 

 

Mères piégées

Anne Bouillon traite de nombreuses affaires de divorce, où elle « entre dans l’intimité des gens ». Le coup d’éclat du père retranché en haut d’une grue du port de Nantes ne l’a guère attendrie, elle qui a pu constater que beaucoup de pères divorcés se contentent d’un droit de visite et d'hébergement limité à un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires, sans souhaiter prendre une part plus active dans l’éducation de leurs enfants. Pour autant, elle ne prend pas systématiquement le parti des femmes : « Il y a des situations où leur comportement est déplorable. »

L’avocate encourage plutôt ses clientes à « faire une place au père, qui ne l’a peut-être pas prise avant la séparation. » Pour elle, il s’agit d’une « chance à saisir ». Celle de développer enfin sa vie de femme. « Il y a une tendance lourde, qui est de se recroqueviller autour des enfants. Les femmes se piègent elles-mêmes en se cantonnant au rôle de mère. C’est une construction sociale. Le divorce leur pose un défi : se définir autrement que comme une mère. » L’enjeu a une vraie dimension féministe, estime Anne Bouillon.