Fanny Reyre-Ménard, luthière

Du bois dont on fait les passionnées

Dans son Atelier du Quatuor, Fanny Reyre-Ménard donne libre cours à

son amour pour le violon. Elle-même n’a pas eu à souffrir de discriminations.

Cela ne l’empêche pas de défendre, pour chacune et chacun

« la même liberté d’accès à ses désirs ».

Luthier ou luthière ? Fanny Reyre-Ménard utilise les deux termes, selon les circonstances : « Je ne me sens pas obligée de dire “luthière“ car je me sens tellement femme, ça n’est pas à prouver.  Je suis arrivée avec la petite déferlante des femmes dans le métier. Auparavant, il y en avait une ou deux par génération. Quand je me  suis installée, les gens étaient encore interloqués que je sois une femme. J’ai dû me battre pour expliquer que non, ils n’allaient pas voir arriver mon mari, le vrai luthier, et que moi je m’occupais des factures. Dix ans plus tard, à la fin des années 1990, ça n’était plus un enjeu. »

 

Coup de foudre et ténacité

Son atelier-boutique à Nantes fête cette année ses 25 ans, mais la rencontre de Fanny Reyre-Ménard avec le violon date de l’enfance, grâce à un concert scolaire : « Le coup de foudre total ! Mais j’étais une petite fille très discrète et j’avais oublié d’en parler à mes parents. A l’âge de 11 ans, je leur ai demandé pourquoi je n’avais pas le droit de faire du violon. Ils m’ont répondu en rigolant : “Mais bien sûr que tu as le droit.“ C’est comme ça que j’ai commencé le violon. Mais au-delà de l’apprentissage de la musique, un langage, un monde et un art qui me parle particulièrement, l’instrument continue de me fasciner. Après le bac, j’ai décidé de tenter l’aventure de la lutherie. »

Fanny Reyre-Ménard passe un an dans une école d’ébénisterie pour apprendre le travail du bois, puis postule pour entrer dans une école de lutherie en Grande-Bretagne. L’école par excellence en France, à Mirecourt dans les Vosges, lui reste fermée : elle ne prend à l’époque que des élèves sortant de 3e, destinés à travailler dans les prestigieux ateliers de la ville, où la tradition de la lutherie se perpétue depuis le XVIIe siècle. Dans l’école britannique qu’elle intègre, (the welsh school of violin making and repair), Fanny Reyre-Ménard est la benjamine. Sur l’impulsion de sa directrice, on y a mené une réflexion sur la présence de filles ; prenant acte de la difficulté pour elles de se trouver isolées au sein de promotions exclusivement masculines, il y a été décidé d’accepter chaque année soit aucune fille, soit plusieurs. « Dans ma promo, nous étions quatre filles sur sept élèves. La question du genre ne s’est jamais posée pour moi. D’autant que dans ce domaine, la Grande-Bretagne n’est pas un pays sexiste. »

 

Artisanat versus mondialisation

Au fond de sa boutique du boulevard de l’Égalité, qu’elle occupe depuis 2002 après avoir officié longtemps en face du marché Talensac, se trouve l’atelier de Fanny Reyre-Ménard. Elle y travaille « au dixième de millimètre près », à l’aide d’une myriade d’outils dont la plupart se passent fort bien de l’électricité : « Je fais exactement le même métier que mon collègue du XVIIIe siècle. ». Elle ne s’occupe que du violon et sa famille (alto, violoncelle, contrebasse), laissant aux spécialistes la guitare, dont elle ne traite que les menus maux dans le cadre de son « service quartier ».  Elle fabrique, sculptant dans la masse l’épicéa acquis auprès d’un luthier de Mirecourt, coupé vers 1920 puis séché doucement, dont elle expose amoureusement les qualités de résistance et de résonance, comme elle le fait de la stabilité et de l’élégant veinage  de l’érable qui fera les côtés et le manche - « Un luthier chez un marchand de bois, c’est comme un gamin dans un magasin de jouets. On voit les instruments à venir. ». Elle répare aussi, des instruments de tous âges et toutes valeurs. Pour une autre branche, importante, de son activité, Fanny Reyre-Ménard utilise l’appellation de « marieur » : « Il s’agit de chercher un instrument qui va convenir à une personne, selon son âge, son niveau, son style de musique... Mais s’il n’y a pas le coup de cœur, ça ne fonctionnera pas ! ».

Fanny Reyre-Ménard éprouve des inquiétudes concernant l’avenir de ses jeunes consœurs et confrères. « Il y a eu un développement incroyable de la profession. Une génération très bien formée, avec une idée généreuse voire utopique du métier. ». Très nombreux.ses aujourd’hui, les jeunes luthières et luthiers se heurtent en outre à la concurrence des instruments chinois. « Notre profession a été touchée tardivement par la mondialisation. Mais depuis les années 2000, l’invasion des violons d’étude et de moyenne gamme chinois, associée à la vente par Internet, ont vraiment secoué notre manière de gagner notre vie. » Selon la chambre syndicale de la facture instrumentale, dont Fanny Reyre-Ménard fait partie, 30 à 40 % des ateliers en France fermeront dans les dix années à venir. « Il n’y a plus de réalité économique. Mais ça reste un métier fabuleux ! Ma trésorerie est fragile, pas mon activité. »

 

 

 

Le plafond de verre se fendille

En revanche, Fanny Reyre-Ménard se dit confiante sur la progression de l’égalitéE dans le monde de la musique. Certes, si les conservatoires sont fréquentés à 60 % par des filles, le nombre de celles et ceux qui deviendront professionnel.les est à peu près paritaire, ce qui implique que davantage de jeunes filles abandonnent en cours de route. Certes, Bruno Mantovani, directeur du Conservatoire national supérieur de Paris émettait en octobre 2013 sur France-Culture des propos douteux sur un prétendu « frein physiologique » expliquant l’extrême rareté des femmes cheffes d’orchestre (en savoir plus) « Mais ça  a provoqué beaucoup d’émoi. Au vu des réactions, je ne suis pas inquiète. On se pose la question partout dans le monde et les mentalités avancent. Il y a tellement de femmes qui ont des compétences. Les choses vont basculer dans les dix ans à venir. Le plafond de verre va disparaître. »

Atelier du Quatuor : 6, boulevard de l’Égalité – 44100 Nantes

Pour en savoir plus sur l’atelier, ses services, le mode de travail de Fanny Reyre-Ménard, ses activités en faveur de la promotion des pratiques musicales et l’actualité des concerts classiques dans Nantes et sa région.