Apporter du bonheur
Elle le proclame : Mado Kitenge fait « un métier formidable ». Onco-esthéticienne à l’Institut de cancérologie de l’ouest (ICO) René Gauducheau à Saint-Herblain, elle aide les patientes et les patients à se réconcilier avec leur image.
Photos prises à l'ICO René Gauducheau à l'occasion du tournage du DVD pour l'association "Un jour contre le cancer".
Elle le proclame : Mado Kitenge fait « un métier formidable ». Onco-esthéticienne à l’Institut de cancérologie de l’ouest (ICO) René Gauducheau à Saint-Herblain, elle aide les patientes et les patients à se réconcilier avec leur image.
Mado Kitenge œuvre depuis vingt-cinq ans comme aide-soignante à l’ICO René Gauducheau. Elle connaît bien le cancer, les effets des traitements, ses conséquences physiques et psychiques. Elle a appris à faire face à la peur que déclenche cette maladie, et à se comporter envers les malades avec simplicité et humanité. Depuis longtemps, après la toilette, elle proposait aux patientes de leur faire un maquillage léger pour « les rendre plus jolies ». Effet immédiat sur le moral, tant de la malade que de son entourage.
Depuis trois ans, elle est passée à la vitesse supérieure : elle a obtenu un CAP en esthétique-cosmétique et, tout en restant aide-soignante, exerce en tant qu’onco-esthéticienne deux jours par semaine à l’ICO René Gauducheau. Le métier est nouveau[1]. Il coïncide avec la prise de conscience de l’importance de l’accompagnement du malade dans le traitement. « En vingt-cinq ans, il y a eu une évolution folle, témoigne Mado Kitenge. Avant, on faisait de la chimio – point. Progressivement, on s’est rendu compte que soigner le cancer, c’est un tout. Se sentir mieux dans sa peau, ça compte beaucoup dans la guérison. »
A l’ICO René Gauducheau, où on a adopté et mis en pratique cette conception, un plateau de soins de support réunit des intervenant.es professionnel.les : psychologues, psychiatres, diététicien.nes, infirmière douleur... Le travail se fait en équipe. Mado Kitenge, qui a accès aux dossiers médicaux, peut adapter ses soins à chaque patient.e. « Je connaissais déjà bien le service. J’ai été totalement acceptée dans ma nouvelle fonction ». Sa démarche a également reçu le soutien de l’Espace de rencontres et d’information (ERI), qui tient une permanence dans les bâtiments de l’ICO.
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Redonner de la vie au visage
Les traitements anticancéreux entrainent des dommages esthétiques traumatisants : la peau souffre, les ongles se craquèlent, les cheveux tombent, parfois aussi les cils et sourcils. « Les femmes croient qu’on ne peut rien faire ! Mais non ! Même sans ses cheveux et ses sourcils, on peut être jolie ! » Mado Kitenge en administre la preuve en prodiguant aux volontaires des soins, mais aussi des conseils et des astuces, pour qu’elles/ils puissent à leur tour prendre soin d’eux-mêmes. « Le goût des choses revient, raconte-t-elle. Les soins regonflent les patientes. Elles se rendent compte qu’elles ont encore le droit de plaire. »
Le cancer, maladie potentiellement mortelle, fait peur à l’entourage : « C’est encore tabou ! » Des personnes voient leurs amis s’éloigner, « comme si elles étaient des pestiférées ». Le regard des autres peut blesser profondément. Or, « les malades n’ont pas envie d’être regardés uniquement comme des malades. » Les femmes attachent une importance primordiale à la joie qu’éprouveront leurs enfants à les voir rayonnantes, après que les bons offices de Mado Kitenge ont « redonné de la vie à leur visage ». « Ça fait plaisir à tout le monde – et à moi aussi ! » Elle avait choisi de devenir aide-soignante pour « apporter aux autres ». Sans savoir qu’en retour, elle recevrait autant. « Mes patientes sont formidables ! souligne-t-elle. C’est grâce à elles que ma vie est pleine. »
Un moment privilégié
Les interventions de Mado Kitenge se déroulent en trois lieux. Les après-midi, elle passe dans les services. Manucure, pédicure, soins du visage, maquillage correcteur, elle prend soin de celles qui ne peuvent pas le faire elles-mêmes. Dont des personnes en fin de vie, un acte qu’elle qualifie de « merveilleux ».
Elle va aussi à la rencontre des patient.es durant leur cure de chimio, qui les immobilise plusieurs heures, perfusion au bras. « Pendant que le produit passe, je mets de la musique douce et je leur fais un massage facial avec une crème à la rose. Je leur dis : ”Essayez de vous transporter dans un jardin de roses, ou dans un endroit que vous aimez.“ Et ça marche ! Des patientes me disent : ”Je n’étais plus là.” Elles ont fait abstraction de l’angoisse, et des manifestations désagréables de la chimio, comme un goût métallique dans la bouche. »
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A celles qui se déplacent aisément, Mado Kitenge ouvre sur rendez-vous sa cabine de soins. Elle en a personnalisé le décor, pour qu’il lui ressemble : accueillant et cocoon. Sur l’un des murs, peint dans un orange doux et vivifiant, elle a composé en lettres de bois les mots Bonheur, Détente, Zen, Rêve. « Je ferme la porte. A l’extérieur, j’accroche un panneau signalant que je suis occupée. Je tamise la lumière et je mets de la musique douce. C’est un moment privilégié. » Les visiteuses reçoivent un soin « classique » : gommage, massage, masque. A l’issue de la séance, les patientes, détendues, se confient. « Elles racontent leur mal-être. Elles vident leur sac. Quelque fois, ça finit en larmes. » Mais elles ressortent toujours « regonflées ».
C’est qu’il existe peu de lieux où un.e malade du cancer puisse, si ce n’est exprimer son ressenti, se montrer tel.le qu’elle/il est en échappant au regard des autres. Le problème de la chute des cheveux, d’une extrême importance, est symptomatique de cette difficulté vécue au quotidien. « Il n’y a pratiquement pas de salon de coiffure avec un pièce à part. Les patientes ne vont pas chez le coiffeur car elles ne veulent pas se montrer, sachant qu’on les regardera. » Mado Kitenge conseille pour sa part de se raser la tête, afin d’éviter la longue épreuve des cheveux qui partent progressivement par poignées. Elle propose de s’en charger elle-même. Elle accompagne cet acte éprouvant par une démonstration sur l’art de nouer joliment un foulard ou de choisir un bonnet qui vous va bien.
Les hommes font rarement appel à ses services de leur propre chef. Mado Kitenge les sollicite. « Ça passe bien auprès des jeunes. Les 40/50 ans hésitent. Ils me répondent : “Si vous voulez.” Mais après, ils en redemandent ! » Même moins soumis au diktat de l’apparence, les hommes ressentent les bienfaits qu’ils reçoivent à prendre soin, en profondeur, de la leur. « Ça aide à mieux accepter et à combattre la maladie. »
Récemment, Mado Kitenge a testé un atelier de maquillage destiné aux jeunes filles atteintes d’un cancer. « C’était un moment très convivial, on a beaucoup ri. Ça a redonné à certaines le goût de se pomponner pour sortir. Ça, c’est magique ! » L’expérience sera sans doute renouvelée. Elle pourrait s’étendre aux adultes, mais le programme chargé de l’onco-esthéticienne ne le lui permet pas : « Je préfère continuer à me consacrer à des soins individuels ».
Mado Kitenge a confiance en l’avenir : « On avance ! ». Deux jeunes aides-soignantes du CHU de Nantes ont déjà pris contact avec elles et désirent se former à la discipline. « Je pense que ça va faire boule de neige. » D’autres unités de pointe se préoccupent, comme l’ICO René Gauducheau, d’accompagner les malades et leurs familles. Espérons que cette pratique se généralisera.
[1] On peut aussi faire le chemin inverse : des esthéticiennes exerçant depuis plus de deux ans en salon peuvent accéder à une formation de socio-esthéticienne, qui les habilite à exercer dans les hôpitaux et les maisons de retraite. La dénomination « onco-esthéticienne » est spécifique aux centres de lutte contre le cancer.