Adriana Wattel, photographe
Comprendre le monde par l’image
Adriana Wattel co-dirige Diaphane, Pôle photographique en Picardie, qui développe création et diffusion photographique sur l’ensemble du territoire régional. Une mission qui la passionne, mais lui laisse peu de temps pour développer son travail personnel.
Elle a commencé sa vie professionnelle en exerçant le métier d’infirmière. Après une formation en médecine tropicale et histoire de vérifier que le travail au sein d’ONG humanitaires est bien sa voie, Adriana Wattel part pour l’Afrique. Munie de son appareil photo. Quand elle revient, elle a fait son choix. « Je me suis dit : ce que je veux faire, c’est de la photo. J’ai tout largué. Mais si ça permet de prendre des décisions, pourquoi pas ? »
Des sujets au long cours
Commence alors pour Adriana Wattel une période de « galère ». Pour financer son CAP photo, elle alterne prestations d’infirmière en intérim et photos d’enfants. Elle revient en Picardie, où elle a grandi auprès de parents originaires des Pays-Bas, et où son père gérait une propriété agricole. « J’y suis revenue par nécessité, et restée par choix. J’aime la Picardie, dénigrée par ses propres habitants. Les gens qui pensent que l’herbe est plus verte ailleurs me fatiguent ! Partir pour partir, je n’en vois pas l’intérêt. »
Ses débuts dans le métier sont difficiles. L’agence Editing diffuse son travail, mais elle passe par la case RMI. La « reconnaissance » arrive quand l’Historial de la Grande Guerre à Péronne expose son travail. Adriana Wattel a sillonné la ligne de front en Picardie, et photographié « la manière dont les lieux de mémoire ont été réinvestis – ou non. J’étais passée à côté. J’ai réalisé que les événements s’étaient déroulés tout près. Ces lieux sont très marqués. On y sent une qualité particulière de silence, une sorte de pesanteur. J’ai eu envie de faire partager l’émotion que tant d’années après ces endroits suscitent encore. »
Ainsi se confirme sa prédilection pour la photographie documentaire et « les sujets au long cours ». En résidence à Laon, Adriana Wattel raconte la ville à travers ses limites successives. « Laon comporte plusieurs strates. La façon dont l’humain investit les lieux est révélatrice des manières de vivre. Des habitants m’ont fait remarquer que j’avais photographié des lieux jamais regardés. C’était mon privilège d’étrangère ! »
En 2003, elle commence un travail sur le littoral. Partie de la frontière belge, elle suit la côte, appliquant toujours le même protocole de prise de vue : photo numérique, sur pied. « Je suis systématiquement le bord de mer au plus près, mais la mer elle-même n’est pas toujours présente. Je ne photographie pas des paysages qui font rêver ! Plutôt les zones habitées, le lien de l’humain à la mer, son évolution. Ces zones sont dans un entre-deux entre le passé et l’avenir. » Dix ans après, Adriana Wattel est arrivée dans le Cotentin, vers Cherbourg. Ce travail lui tient à cœur mais elle manque de temps à lui consacrer. Car depuis, elle s’est investie dans Diaphane, Pôle photographique en Picardie.
La photo en campagne
Elle a rejoint en 1996 l’association fondée en 1991 par le photographe Fred Boucher. D’interventions ponctuelles en collaborations épisodiques, elle a fini par la co-diriger avec le fondateur. Diaphane à pour objectif de « permettre une plus grande diffusion de l’art photographique et de toutes les pratiques liées à l’image ». Cela passe par l’accueil de photographes en résidence de création, l’organisation d’interventions d’éducation à l’image en milieu scolaire, d’expositions sur l’ensemble de la région, l’édition d’ouvrages... Et depuis 2004, le festival des Photaumnales, en septembre, à Beauvais et dans toute la Picardie.
Adriana Wattel est convaincue de la mission de Diaphane. « Nous participons à la construction d’un patrimoine photographique en faisant travailler des artistes sur le territoire, nous apportons des expositions de qualité notamment en milieu rural (notre cheval de bataille). Nous cherchons à donner des clefs de lecture d’images, pour mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons. » La reconnaissance des institutions publiques a couronné des années d’acharnement « pour montrer qu’on existe ». L’association compte aujourd’hui quatre salarié.es. «Mais dans l’idéal, souligne Adriana Wattel, il faudrait que l’on soit six ou sept pour mener à bien tous nos projets. Rien n’est jamais acquis. Il faut continuer à se démener sans cesse. » Résultat : « En ce moment, je suis davantage co-directrice de Diaphane que photographe ! On se laisse prendre par l’émulation. » Même si elle aspirerait à « retrouver un autre rythme », Adriana Wattel trouve un avantage à sa modeste sécurité financière de salariée : « Je ne fais en photo que ce que j’ai envie de faire. »
Une aventure humaine
La co-direction l’a placée dans des situations qu’elle n’avait pas envisagées. Celle d’employeure, notamment. « La relation de subordination est incontournable. On se blinde pour être carré, dissiper le flou, ne rien laisser traîner. » Même si elle avoue qu’elle « s’en passerait bien », loin de fuir les difficultés, Adriana Wattel trouve dans les relations humaines au travail matière à enrichir sa réflexion.
Celles avec son partenaire Fred Boucher, non dénuées de tensions bien que très amicales, l’amènent à s’interroger sur son propre comportement. Comment faire pour qu’une co-direction mixte reste équitable ? Les regards extérieurs ne facilitent pas la tâche : « Je suis sans cesse confrontée à ce que les gens considèrent Fred comme le patron. C’est insupportable ! » Mais Adriana Wattel s’accuse de « ne pas savoir taper du poing sur la table. » Elle s’avoue plus encline à délaisser ses propres travaux au profit de l’association. « Je ne peux pas m’en empêcher. J’accepte et après, je m’en veux à moi-même et j’en veux à la terre entière ! »
Pas question toutefois de laisser s’effilocher la situation : la continuation de Diaphane en dépend. Adriana Wattel et Fred Boucher ont opté pour un accompagnement par la BGE Picardie (« Boutiques de gestion » qui proposent un appui aux entrepreneur.es). Au programme : analyse du fonctionnement interne et recherche de solutions. Adriana Wattel souhaite ardemment poursuivre l’aventure, et espère y réactiver des joies un peu ternies à force d’être « toujours aux taquets », comme « le côté jubilatoire des rencontres avec les photographes ». Pour elle-même, elle vise un but bien légitime, « atteindre une forme de sérénité ».
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