Fani Minoudi, éducatrice spécialisée et plasticienne

Sans que ce soit l'argent qui parle

Il existe des artistes qui veulent travailler collectivement, partager des valeurs, échanger en créant et surtout, que leur travail s’inscrive dans la vie. Fani Minoudi en fait partie. Elle défend ses convictions  avec constance.

Fani Minoudi peine à s’appliquer une définition. Certes, elle est plasticienne, investie dans les graffitis et le street art depuis les années 1990 – « À cette époque, on courrait beaucoup ! ». Mais « ça fait longtemps que je me suis éloignée du monde de l’art. J’y reviens petit à petit car je sais ce que je veux faire. Il faut que je trouve un sens pour être motivée pour créer. Dans le cadre des vernissages, etc., j’ai un peu de mal.»

Atelier à Style Alpaga, pour les 20 ans de l'association, 2015

Avec les enfants qui pleurent

Née en Suède de parents grecs, voyageurs comme elle le deviendra, elle y finit sa scolarité. Elle apprécie la « logique particulière » qui a cours en Scandinavie : « simplicité, ergonomie ». Elle suivra ses études supérieures en Crète. « J’ai fait des études polyvalentes qui m’ont apporté un diplôme européen. En France, j’ai pris l’étiquette d’éducatrice spécialisée parce que c’est ce qui me plaît. »

Fani Minoudi travaille dans des structures accueillant des enfants placé.es, entre 12 et 18 ans. « Celles et ceux que les administrations appellent atypiques. Elles et ils ont des troubles du comportement pas forcément pathologiques. Mais tout le monde pense qu’il n’y a plus rien à faire. Ce sont mes chouchous. Je les accompagne dans la vie de tous les jours. » Avec les enfants, elle crée en permanence. « On travaille sans parler, souligne-t-elle. Souvent, les larmes coulent sans qu’ils ne disent rien. Même quand ça va mal dans un foyer, les choses qu’on a faites ensemble ne sont jamais touchées. »

Bien qu’elle ait choisi son métier et l’aime, Fani Minoudi estime que « pour le faire bien, il faut des pauses. Et aussi, à un moment, j’ai envie de me retrouver au milieu des pinceaux ! » C’est pourquoi, tous les cinq ans, elle s’octroie une année pour décompresser.

Atelier Graff à Style Alpaga pour l'exposition Du Côté des Jeunes Filles, 2012

Pourquoi pas maintenant ?

Actuellement en « pause », Fani Minoudi s’occupe d’un projet qui lui tient à cœur, son « bébé ». Il regroupe sept artistes de sept pays d’Europe. Plasticien.nes, D.J, poète, communiquent via Skype : « Ça va très, très lentement ! ». Chacun.e arrive avec son style, « c’est ça qui est bien ». Les artistes de ce mouvement partagent les mêmes valeurs. Des valeurs de partage, mais pas qu’entre soi. Objectif : « être capables à travers des actions de créer des fonds indépendants hors subventions pour pouvoir lancer d’autres projets derrière. » Car « courir après les subventions » agace profondément Fani Minoudi. « On se retrouve à faire des réunions où personne ne parle du sujet. On dirait que quand tu fais, tu gênes. Ma logique ne peut pas admettre que je gêne en faisant. Il doit y avoir un autre moyen. Et s’il y en a un, pourquoi ne pas le tenter ? Et pourquoi pas maintenant ? »

Le collectif se prépare pour contacter des organismes importants, Unicef, Amnesty International... Il peaufine le sens du projet. Pour proposer des événements où les échanges fusent dans des moments de création. « Peut-être que ce qu’on fait est beau. Mais il faut que ça serve à quelque chose, c’est la motivation principale. Le côté social, c’est pour ça que je suis là. » Ravie que le street art se soit démocratisé, elle déplore que le tarif exorbitant de certaines manifestations le menace de devenir élitiste. « Le graff ne doit pas perdre son sens et son histoire. Ça doit être à la portée de tout le monde. »

Ce plaisir de la création partagée, Fani Minoudi le trouve aussi dans les ateliers auxquels elle participe. Par exemple, avec les jeunes filles de Style Alpaga, à Bellevue, qu’elle a initiées aux graffs. « Il y a des moments où on voit apparaître la question sociale. Les filles changent quand elles tiennent une bombe en main. Elles l’ont reposée quand des garçons sont venus les embêter ! On est arrivé à parler de leur circulation dans le quartier – pas facile. Une fille voilée ne touchait à rien, mais petit à petit, elle s’est mise à me parler. » Son métier l’a accoutumée à l’improvisation et Fani Minoudi sait tirer parti de toutes les situations pour communiquer, donner, créer.