Josiane Juliot, retraitée

Stylos et bal musette

Satisfaction du travail bien fait, joie de la danse, ont maintenu en verve l'esprit

de Josiane Juliot. Elle vit dans le quartier des Bourderies, à Nantes, dont elle suit avec pertinence la rénovation.

Josiane Juliot se souvient de mai 68. Grève d’un mois chez Waterman, à Saint-Herblain. « C’est renommé ! Il y avait bien des femmes qui y allaient quand même. Celles qui étaient seules. » Elle était entrée à l’ouverture du site, en 1967, « ouvrière, comme tout le monde ». Elle reprenait le travail après sept années de maladie, consécutives aux privations de l’après-guerre. Elle resterait jusqu’en 1992, l’heure de la retraite. En vingt-cinq ans, elle n’a pas vu son travail  évoluer : « On était là pour fabriquer des stylos. Il y avait des chefs, et puis il y avait des ouvriers. C’est tout."

Bonne ambiance

« C’était une bonne maison », affirme Josiane Juliot. Heure d’arrivée à la carte, de 7h30 à 9h, médecin et crèche sur place, transport en bus organisé par l’entreprise – jusqu’à la démocratisation des voitures au début des années 1980. Sur les quelque mille employé.es que compte le site peu après son ouverture, la plupart sont des femmes. Waterman, né aux Etats-Unis en 1884, arrivé en France en 1926, est depuis 1943 dirigé par une femme : Madame Fagard, puis sa fille Elsa Le Foyer, enfin sa petite fille Francine Gomez. Cette entrepreneuse hardie redorera l’entreprise. Néanmoins, Josiane Juliot a connu bien des conflits sociaux. Les licenciements se multiplient  (« Fallait bien que ça rapporte ! » comment-t-elle ironiquement.), les augmentations ne s’obtiennent pas sans lutte. « On ne débrayait pas pour n’importe quoi. Mais on ne pouvait pas rester inactifs ! » La situation s’est nettement dégradée, note-t-elle, après la vente en 1986 à la firme américaine Gillette : « Ça n’a plus jamais été pareil. »

Josiane Juliot travaillait au montage des stylos bille. « On ajoutait à la main toutes les petites pièces. On n’imagine pas le nombre de pièces qu’il y à là-dedans ! » Elle ne sait plus évaluer le temps nécessaire pour achever un stylo. « Quand vous êtes habituée, ça va très vite. Il y avait pas mal de petits modèles, des stylos tout ordinaires et d’autres plus luxueux, mais ça se ressemble toujours à l’intérieur. » Soixante à quatre-vingt femmes travaillaient dans cet atelier. « Les hommes étaient aux machines ». Assises devant des tables, les ouvrières décidaient de leur « à main » pour disposer leurs pièces. « Fallait faire très attention. Après, on vérifiait que ça fonctionnait. » Malgré la concentration exigée, l’ambiance était joyeuse : « On venait au boulot avec le sourire. Pas comme maintenant où les gens disent : il faut que j’aille travailler. On a tellement rigolé ! Mais le chef ne pouvait rien nous dire, car les choses étaient toujours faites."

Amicalement musette

« Chacune faisait sa vie. », cependant. Et dans la vie de Josiane Juliot, il y a, déjà, la danse. Avec son mari, « un danseur comme ça ! », routier de profession. Elle et il formaient un couple de danseurs. « C’est difficile de s’y remettre avec quelqu’un d’autre. » Depuis le décès de son mari, elle fréquente les thés dansants tous les dimanches, ou presque, avec une amie, servante de ferme à la retraite qui, selon ses propres mots, a appris à danser « au cul des vaches ».  Il y a de moins en moins de thés dansants, et surtout d’établissements spécialisés. Mais ces rencontres, organisées par des associations, souvent au profit d’une œuvre humanitaire, rassemblent jusqu’à six cents personnes pour une soirée, deux à trois cents le dimanche après-midi. Pour beaucoup, des passionné.es, qui se retrouvent de bal en bal. Josiane Juliot précise : « Les femmes dansent ensemble. Bien obligées, il n’y a pas d’hommes ! » Beaucoup de veuves, dans cet endroit de plaisir.

Josiane Juliot y emmène ses petites-filles, des jeunes femmes, « comme ça, elles apprennent. Ça leur plaît. La preuve, on y retourne ensemble samedi.» Elle choisit avec soin ses cavalier.es : « Moi, je ne saute pas. Les pieds doivent glisser. » Elle adore la valse musette et supporte « les danses en ligne qui ne ressemblent à rien. » Ça l’ennuie de « lever un bras, plier une jambe... » Mais, estime-t-elle, « les gens sont contents, c’est le principal.» Bilan de cette réjouissance ? « On s’entend bien, on rigole, on se fait des amis ».

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