Brigitte Biche, sociologue

Quand on parle au neutre, on parle au masculin

Du moment où elle a « chaussé les lunettes genre », Brigitte Biche n’a plus cessé d’inclure cette dimension dans ses enquêtes. Une optique qu’elle aime partager et transmettre.

Sa vocation de sociologue est née au Niger. Nous sommes à la fin des années 1960 et Brigitte Biche, assistante sociale de formation, part avec son mari en coopération technique dans l’animation rurale. Elle reçoit un choc en découvrant une autre société. Du même coup, elle réalise qu’elle est le produit d’un « façonnage ». Un livre, Le Harem et les cousins, de l’ethnologue Germaine Tillion, accompagne cette prise de conscience. A Niamey, elle voit au quotidien le « marquage social » que subissent les femmes. L’inégalité femmes/hommes lui saute aux yeux. Elle ne s’arrêtera pas au constat : « J’ai eu envie de m’outiller pour comprendre. »

 

Tricoter des compétences

L’approfondissement est une des exigences de Brigitte Biche : « Il faut des outils pour penser la réalité sociale. Je ne me satisfais jamais de ce que je viens d’apprendre. Je veux chercher encore. » De retour en France, fin 1972,elle devient formatrice en travail social à l'École de service social de Nantes. Parallèlement, elle commence des études en sociologie. Seize ans plus tard, la perte de son emploi la décide à ouvrir son cabinet d’« Études, conseil et formation en développement local, urbain et rural ». « Ça n’a pas été facile au début, j’avais la culture du salariat, j’avais été déléguée syndicale... » Brigitte Biche, insensible aux sirènes de la compétition, ressent le travail en équipe comme une richesse : « J’aime tricoter des compétences. ». Elle se trouvera des « comparses », notamment Jean Le Monnier, avec lequel elle réalisera de nombreuses études ; ou Katell Olivier qui l’a accompagnée en tant que stagiaire pendant plusieurs années dans différentes missions (notamment en Afrique) et par la suite assuré avec elle une étude sur les problèmes d’addictions des détenus dans un centre pénitentiaire de l’Yonne.

 

Elle travaille pour des réseaux et associations (Peuple et culture, Relier, Emmaüs....), des programmes européens (avec le Grep), des organismes publics (Régions, ministères de l’Agriculture, du Tourisme, de l’Emploi...). Elle a constaté que « En France, on cloisonne tout. On a inventé le concept de développement à l’usage des pays dits sous-développés. On l’a appliqué au monde rural, puis au secteur social urbain. Moi, j’ai travaillé sur ces trois domaines : en Afrique et en France dans les zones rurales et dans les quartiers. » Ces expériences l’amènent à « décloisonner », pour se placer sur le plan de la transversalité.

En 1995, Brigitte Biche fait, au sein du Grep, une rencontre déterminante : celle d’Annie Labourie. La sociologue prépare la Quatrième conférence mondiale sur les femmes qui se déroulera à Beijing. Travailler sur la question du genre reste alors novateur. Brigitte Biche inclut définitivement cette dimension à ses études : « A partir du moment où on a chaussé les lunettes genre, on ne peut plus voir les situations de la même manière, en en faisant fi. » Et s’il y a une question qui impose la transversalité, c’est bien la question des femmes.

 

Transmettre et partager

Les organismes demandeurs accueillent généralement bien cette optique, car elle éclaire les sujets. « Par exemple, quand les ministères de l’Agriculture et du Tourisme nous ont demandé, à Jean Le Monnier et à moi, une étude sur les saisonniers, nous avons interrogé des saisonniers ET des saisonnières, en marquant ce choix. Cela a mis en évidence la différence des regards entre les femmes et les hommes. Comme il n’y a pas de neutre en français, si on ne précise pas, on parle au masculin. »

La reconnaissance de cette spécificité a procuré à Brigitte Biche une ouverture sur les C.I.D.F (Centres d’Information sur les Droits des Femmes et des familles). Elle y a donné des conférences et des formations dans toute la France. Cela lui a permis de satisfaire une autre passion : transmettre. Ou plus exactement, échanger, puisqu’elle envisage la formation comme un partage d’expériences.

Elle a récemment partagé des missions avec les jeunes consultants Sandrine Richardeau et José Aubry, du cabinet nantais Radar. « Ils n’étaient pas formés à l’approche genre. Mais ils ont tout de suite accroché. Je transmets, mais en même temps j’entretiens mes connaissances, et Sandrine et José m’apportent leurs regards nouveaux. Je renouvèle ma façon de voir les choses. »

A la retraite depuis peu, Brigitte Biche en profite pour redoubler d’activité. Elle est retournée à la fac, étudier la botanique et la philosophie chinoise, qui la passionnent. Élue à la mairie de Sainte-Luce, elle y a pris la responsabilité du dossier des Rroms. Elle assure l’interface entre la municipalité et l’association « Soleil rom », dont elle salue le « professionnalisme ». Pourquoi les Rroms ? « L’injustice est omniprésente dans leur vie. Cet engagement est cohérent pour moi : j’ai toujours eu besoin de me tourner vers les autres. J’ai toujours travaillé sur les discriminations, aux côtés de celles et ceux qui peinent le plus. »

 

Les publications de Brigitte Biche.