Sérénade Chafik, féministe franco-égyptienne

 

 

 

 

 

 

Au Caire,

les femmes Black bloc

(émanation anarchiste)

prennent les armes.

Ce ne sont pas des voilées.

Optimiste sur le long terme

Parmi les jeunes opposant.es au régime égyptien, la lutte en commun a créé une réelle solidarité entre femmes et hommes, raconte Sérénade Chafik. Ce qui lui laisse espérer que la société s’avance vers un changement, pas immédiat mais en profondeur.

 

Sérénade Chafik est née au Caire. Elle a passé en France une partie de son enfance. Elle y revenue en 1993. Sans sa fille Laïla dont son ex-mari refusait de lui confier la garde. C’est depuis la région nantaise qu’elle a mené un combat de dix ans pour reprendre Laïla, et par là lui permettre d’échapper aux mutilations sexuelles et à un Code de la famille discriminatoire envers les femmes. Elle l’a raconté dans son livre Répudiation.

En savoir plus sur le combat de Sérénade Chafik.

 

Des conventions liberticides

Cette expérience lui a donné une parfaite connaissance des dommages que peuvent causer les conventions bilatérales passées par la France avec certains pays. Ces accords définissent une coopération commerciale et culturelle, mais aussi juridique. Concrètement, pour les femmes immigrées, cela signifie que leur pays d’accueil s’aligne sur les décisions juridiques émises par leur pays d’origine, quand bien même celui-ci applique la charia, en totale contradiction avec les lois françaises réprimant les discriminations fondées sur le sexe. « Ces conventions balaient les luttes des femmes de ces pays contre le Code la famille, résume Sérénade Chafik. La charia est censée représenter la parole de dieu. Et nous sommes dans un pays laïc ! » Longtemps conseillère conjugale, devenue conseillère pour l’emploi, elle a pu constater qu’elle n’en avait pas été la seule victime.

Ces conventions signées dans les années 1980 ne fixent aucune limite dans le temps. Certaines l’ont été avec les dictateurs destitués par les « révolutions arabes ». Depuis, rien n’a été renégocié, en dépit des rapports défavorables émis par la Halde (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité), organisme d’État. Il semble que pour la diplomatie française, il soit urgent d’attendre. « On ne veut pas heurter les musulmans ici ou là-bas, analyse Sérénade Chafik. On piège les Français par le sentiment, en leur faisant croire qu’il est toujours juste de faire revenir les enfants dans leur pays d’origine. »

Et que se passera-t-il si, en Égypte par exemple, les islamistes s’installent durablement au pouvoir, avec pour prévisible conséquence l’anéantissement des droits des femmes ? Sérénade Chafik participe à des actions pour interpeller directement le gouvernement et prévenir la catastrophe. Sur des terrains sensibles : les quartiers à forte population musulmane.

 

Mixité totale

Sérénade Chafik retourne aussi souvent qu’elle le peut en Égypte. Elle a participé aux débuts de la Révolution. « Elle n’est pas finie, souligne-t-elle. La tête est tombée, mais pas le régime lui-même. » En contact constant avec des militantes égyptiennes, elle suit de près l’évolution de la situation.

 

 

La page Facebook

de Sérénade Chafik

rend compte des événements,

en particulier féministes,

en Égypte.

En page d'accueil,

Sérénade

et sa fille Laïla.


« La révolution en 2011 n’a pas été spontanée, explique-t-elle. Elle découlait d’années de lutte et réunissait des militant.es autour de la justice sociale et les droits humains. Les militaires ont confisqué le pouvoir. Ils ont promulgué des lois provisoires qui n’existaient pas sous Moubarak, réprimant les grèves et les manifestations. Leur première violence sexuelle a été de faire subir un test de virginité à des manifestantes. » Mais l’ensemble des protestataires se solidarise avec les femmes molestées, dénudées publiquement, humiliées. « Cette révolution se caractérise par une mixité totale. », rappelle Sérénade Chafik. Parmi ses figures emblématiques, des jeunes femmes : Asmaa Mahfouz, qui appela à la première manifestation place Tahrir le 25 janvier 2011 ; Samira Ibrahim qui, maltraitée lors de son arrestation et victime d’un test de virginité, a osé porter plainte contre l’armée ; la blogueuse Aliaa Magda Elmahdy, qui défia les islamistes en s’exposant nue, exilée en Suède et désavouée par une partie des opposants au régime.

 

 

 

 

 

 

 

"L'égalité ne veut pas

forcément dire la justice !"

Panneau pédagogique

des féministes égyptiennes.

Les féministes se radicalisent

En janvier 2012, les élections législatives portent au pouvoir les islamistes : les Frères musulmans occupent 47 % des sièges de l’Assemblée du peuple, et les salafistes 22 %. En décembre, ils font adopter une nouvelle Constitution lors d’un référendum au déroulement contesté. « Ce référendum est venu trop tôt, estime Sérénade Chafik. Seuls les islamistes étaient prêts. Parmi les opposants, des groupuscules se sont formés trop vite. Les alliances se font et se défont. » Mais malgré une répression qui s’intensifie, la résistance ne s’avoue pas vaincue. Celles et ceux qui la portent sont aujourd’hui majoritairement des 15-30 ans, tranche d’âge qui correspond à 60 % de la population égyptienne. « Leurs aînés les considèrent comme peu formés politiquement. Ils les ont plus ou moins abandonné.es. », regrette Sérénade Chafik.

Le pouvoir pratique plus que jamais le « terrorisme sexuel à l’égard des manifestantes », par l’intermédiaire de milices qu’il a formées. Il espère diviser les manifestant.es en jouant sur le concept d’honneur « à l’oriental ». « Les Frères musulmans tentent de faire passer pour “impures“ les femmes qui manifestent. En utilisant le viol comme arme de guerre, les milices veulent effrayer les femmes mais aussi humilier les hommes. » Les opposant.es évitent le piège, comme en témoignent des pancartes : « Tu n’as pas d’honneur si tu le situes entre mes cuisses. », « Nos filles ne sont pas des putes, elles ont dormi place Tahrir. ». Certains slogans expriment le regret d’avoir voté pour les islamistes : « Je suis désolé pour mon peuple. J’ai voté pour les Frères, je n’aurais pas dû. »

Les mesures proposées par les salafistes au Parlement sont stupéfiantes : abaissement de l’âge du mariage à 9 ans pour les filles (« En somme, légaliser la pédophilie ! ») ; droit pour un mari de pratiquer la « fornication des adieux » sur le cadavre de son épouse, du moment qu’il reste chaud (« Même la mort ne délivre pas les femmes des violences conjugales ! »). Durant la campagne électorale, les Frères avaient affrété des « caravanes de santé » qui circulaient dans les villages. « En fait, ils pratiquaient des excisions gratuites, précise Sérénade Chafik. Ça a quand même déclenché une réaction. Jusqu’à là, l’excision était interdite hors de hôpitaux. La Haute cour constitutionnelle l’a déclarée anticonstitutionnelle. » Cette pratique emblématique du sexisme est donc sortie de la légalité ; reste à faire appliquer la loi.

Sur ce point, on ne pourra bien sûr pas compter sur les islamistes, qui viennent de faire passer une loi accordant à tout citoyen le droit d’interpeller une femme qu’il trouverait « impudique ». La recrudescence des violences a radicalisé le combat féministe. « Un mouvement a émergé durant les derniers six mois, témoigne Sérénade Chafik. Les revendications se renforcent. Les femmes proclament que l’égalité ne suffit pas : il faut rattraper le retard, car femmes et hommes ne partent pas sur les mêmes bases. Des femmes ont manifesté en brandissant des couteaux. Cette année, le 8 mars a pris une ampleur jamais vue. »

Cette résistance donne bon espoir à Sérénade Chafik de voir la société égyptienne évoluer. « Les jeunes, filles et garçons, ont porté ensemble les mêmes revendications. Vivre des moments révolutionnaires créé une complicité et une solidarité. C’est un instrument de lutte pour les droits des femmes. »