Un pied de nez à la maladie

Tous les samedis, les  Pink dragon ladies de Nantes pagaient sur l’Erdre à bord de leur Dragon Boat. Comme des centaines de femmes touchées par un cancer du sein dans le monde, elles ont choisi ce sport pour (se) prouver que, oui : il y a une vie après le cancer.

 

Avant qu’on ne les voit apparaître, un son annonce les Pink dragon ladies : celui du volumineux tambour sur lequel la batteuse frappe le rythme des pagayeuses. Leur tenue rose vif et le dragon qui orne l’avant de leur embarcation achèvent de capter l’attention. Rien ne signale en revanche que les vingt femmes de l’équipage viennent de traverser, ou pour certaines traversent encore, une douloureuse épreuve, celle du cancer du sein. Les efforts qu’elles produisent, et les rires qui les accompagnent, ne correspondent pas à l’idée qu’on se fait de malades ou de convalescentes. Tant mieux.

Ces femmes, dont l’âge va approximativement de la quarantaine à la soixantaine, ont adopté ce sport pour se réapproprier leur corps, retrouver leur vitalité, reprendre confiance en elles, se dépasser, se sentir plus fortes ensemble. Si le cancer n’est certes pas l’unique, ni même le principal, sujet de conversation, les rendez-vous du samedi matin sur l’Erdre représentent un lieu où on peut en parler avec légèreté, parce qu’il s’agit d’une préoccupation partagée.

 

Un sport bienfaisant

Une légende bienveillante accompagne l’apparition du Dragon Boat en Chine, il y a plus de deux mille ans. L’usage de cette embarcation pour une pratique récréative et/ou sportive, très répandu en Chine, ne s’est occidentalisé qu’en 1976, après un festival organisé et médiatisé par l’Office du tourisme de Hong-Kong.

Vingt ans plus tard, le médecin du sport canadien Don McKenzie met en évidence sa compatibilité avec l’état de santé des femmes touchées par un cancer du sein. En effet, si l’on sait qu’une activité physique minimise les risques de récidive, toutes les pratiques sportives ne sont pas recommandées. Le professeur McKenzie teste lui-même  les résultats de ses travaux en formant un équipage de patientes. Rapidement, il vérifie que le mouvement des bras dans le Dragon Boat, comparable à celui du canoë-kayak, réactive les voies de circulation lymphatique, active la musculature, notamment les dorsaux, améliore la mobilité de l’épaule. La bonne nouvelle franchit les frontières, créant un mouvement international.

Reims accueille en 2009 les premières Dragon ladies de l’hexagone. L’équipage fait l’objet d’un reportage diffusé dans l’émission Thalassa sur France 3. C’est ce qui donne à un membre du NACK (Nantes Atlantique canoë kayak) l’idée de tenter l’aventure sur l’Erdre. Le projet se monte dans le cadre d’un partenariat avec l’Institut de cancérologie de l’ouest René Gauducheau et la Ligue contre le cancer. En septembre 2011, le premier groupe est formé. Restant ouvert, il s’étoffe en 2012 et 2013. Peu de sortantes malgré les aléas de la météo et pour certaines, un longue route à parcourir jusqu’au NACK.

 

L’aventure de la Vongalonga

L’entraînement hebdomadaire débute par des échauffements. Suivent un temps de navigation, puis le partage d’une collation. Les différences d’âge et de niveau sportif n’ont pas empêché l’émergence d’un esprit d‘équipe. Chez les Pink dragon ladies, on recherche la stimulation, pas la compétition.

A l’hiver 2011, le groupe conçoit un projet (apparemment) fou : clôturer la saison en beauté en participant à la Vogalonga. Depuis 1975, cette randonnée aquatique réservée aux embarcations à rames ou pagaies se déroule au mois de mai à Venise. La rencontre se voulait à l’origine une protestation contre la multiplication des bateaux à moteur. Devenue très populaire, elle reste festive, se tient à l’écart des sponsors et conserve son principe initial : pas de compétition, le seul objectif est de boucler le parcours dans un temps raisonnable. Les Pink dragon ladies de Nantes portent le projet de bout en bout. Elles cherchent et trouvent des financements qui mettent le voyage à la portée de toutes. Elles créent pour l’occasion leur costume collectif. Enfin, elles terminent honorablement le trajet de 22 km.

 

Saluées par la foule sur leur passage, Fières de leur performance, elles ont partagé un de ces moments qui réconcilient avec la vie. Ce succès aura resserré leurs liens. Et les aura encouragées à poursuivre, non seulement leur pratique, mais sa transmission. 

 

Octobre 2013.