De retour d'Italie

par Diana Vivarelli, femme de théâtre

Journée internationale d'action contre les violences faites aux femmes, Paris, novembre 2004
Journée internationale d'action contre les violences faites aux femmes, Paris, novembre 2004

Si vous voulez avoir une idée de ce que le sexisme et la séparation des sexes peuvent engendrer comme problèmes dans la société civile, il suffit de regarder ce qui se passe en Italie, où, vous aurez remarqué, tout prend des proportions inégalées.

 

Ouf, quel épuisement, quelle dispersion d’énergie j’emploie pour m’exprimer, alors que je suis continuellement contredite, abaissée, écartée des discussions uniquement parce que je n’appartiens pas au sexe dominant, parce que je ne crie pas, je n’insulte personne. Avec des proportions italo-titanesques ! Quelques exemples : si je suis avec un homme au supermarché, même si je paye, la monnaie lui sera rendue alors qu’on me donnera les lourds sacs des courses à porter… Si par hasard je dis à mon copain « On y va ? » il y aura quelqu’un prêt à lui faire la morale : « C’est à toi de décider, ne te laisse pas faire ! » Sans parler des places à table : « capotavola », la place en bout de table, est « traditionnellement » réservée aux hommes et si une femme ose l’occuper - et « naïvement » j’essaye parfois- elle suscite un scandale de lèse majesté. Alors que je parle de mon envie d’écrire sur Anita Garibaldi, cette brésilienne qui combattit à coté de Garibaldi (après lui avoir appris à monter à cheval) et participa à trois révolutions, morte à Ravenne à 27 ans, « oubliée » par l’histoire, le commentaire des hommes présents a été : « Anita a suivi Garibaldi par amour, comme le font toutes les femmes, elle n’avait pas d’idéaux politiques ». J’ai ensuite découvert qu’un téléfilm de la RAI (canal « historique » de la télévision italienne) l’avait ainsi décrite.

Ne parlons pas des publicités qui flattent les tendances sociétales à grand renfort de fesses et des seins, des mères heureuses de servir fils et mari, assenées tous les quarts d’heure lors des programmes à la télé : une heure d’émission égal une heure de publicité. Et même les compliments sont inquiétants : « Elle est une bonne cuisinières… elle sait rester à sa place, elle ne casse pas les pieds… ! »

 

Journée internationale contre les violences faites aux femmes, Paris, novembre 2004
Journée internationale contre les violences faites aux femmes, Paris, novembre 2004

L’exemple vient de très haut. Depuis plus de vingt ans l’Italie est gouvernée par un délinquant sexuel qui prostitue des mineurs et s’adonne aux orgies et aux drogues.

Le jour de mon arrivée à Bologne, ville moderne du Nord d’Italie, un reportage montrait Berlusconi en train de demander à une employée d’une entreprise qu’il visitait : « Au lit, combien de fois tu viens ? A quel prix ? Tourne-toi, je veux voir la marchandise !» Le jour même des élections, dans le bureau électoral, il provoque une scrutatrice : « Souris-moi et vote pour moi ! » Tous les jours il fait des exploits de cet ordre. Les médias lui appartiennent tous, ils sont à ses ordres et relayent ses « plaisanteries » sans aucun commentaire.

Mes amis italiens sont pour la pluparts engagés, certains contre l’homophobie, d’autres pour les droits civiques, contre le racisme, mais contre le sexisme… non. J’ai proposé à des copines de fonder une association style « La barbe », l’envie ne leur manque pas, mais elles ne savent pas par où commencer, tellement l’image des femmes s’est dégradée. Les femmes sont menacées en permanence par une banalisation complète du sexisme ordinaire.

La laïcité n’existe pas en Italie. J’ai lu que des femmes habitant l’Etat du Vatican se plaignaient de ne pas avoir droit aux congés de maternité. Le dévouement, l’esprit de sacrifice sont assénées comme valeurs suprêmes.  

Le plafond de verre devient un étau d’où est inimaginable s’échapper. Les résistances ne manquent pas : ce sont en majorité des femmes qui occupent les lycées, qui protestent, qui organisent les manifs… Mais qui le sait ? Qui relate leur action ? Sans liberté de presse il n’y pas de liberté de parole et d’expression. La situation des femmes en Italie montre bien que, dès qu’on ouvre les vannes de l’oppression machiste, la bêtise se déverse à flots et prend des allures de banalité.

 

Diana Vivarelli, mars 2013

 

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