Les femmes roms s'émancipent

L’historienne Claire Auzias travaille depuis une vingtaine d’années sur les Roms, leur histoire et leur quotidien. Elle était à Nantes, à l'invitation de Romeurope, pour parler de la condition des femmes roms qui, bonne nouvelle, monte vers l’émancipation.

 

« Tenter de rapprocher les femmes roms qui nous apparaissent comme des étrangères, pas seulement par leur citoyenneté mais encore par leurs supposées coutumes, au plus près de nous, notre langage, notre culture, nos préoccupations», était un vœu de Claire Auzias[1]. Pour elle, les femmes roms sont des femmes contemporaines d’Europe, ni plus ni moins. Leur situation, au sein des Roms et de la société tout entière, évolue sensiblement depuis une vingtaine d’années. Pour Claire Auzias : « Les changements viennent de l’Est. Contrairement à ce que l’on croit à l’Ouest, les mouvements d’émancipation, de solidarité, de dignité des Roms, sont beaucoup plus développés à l’Est, d’où viennent les mouvements de femmes roms. »

Dans l’Europe unifiée

L’historienne rappelle que le mouvement rom se renforça après 1989. Dans l’Europe unifiée, les militant.es des pays sous régime communiste peuvent se rapprocher de leurs camarades occidentaux de l’Union romani internationale fondée en 1971. Elles et ils mènent un combat politique, revendiquant, plus que des droits sociaux, des droits civiques. Martin Luther King est alors une figure extrêmement populaire parmi les Roms.

Dès ses débuts, il y a des femmes dans le mouvement. Celles que Claire Auzias appelle « la première génération ». Elle précise : « Des femmes éduquées, diplômées, occupant des emplois, qui avaient forcément appartenu au Parti et s’étaient débrouillées avec le régime, qui d’ailleurs n’avait pas persécuté les Roms. » Ces militantes se forment et conquièrent de l’influence. Les droits des femmes font partie des « marqueurs de la progression de la démocratie», autrement dit des gages à fournir aux Occidentaux pour être admis dans l’Union européenne. Les Roms ne font pas exception. En 1995, des femmes roms sont entendues pour la première fois au Conseil de l’Europe. Cette première rencontre débouchera sur la création du Réseau européen des femmes roms.

Là a pris son essor la deuxième génération de militantes. « Comme nous, les féministes des années 1970, explique Claire Auzias, elles ont appris dans des rencontres collectives où chacune apportait une question, qu’elles pouvaient collectiviser leurs problèmes. Il s’agissait de problèmes sociaux, pas culturels mais internationaux. Toutes les variantes de féminisme se rencontrent et s’expriment.» Pas forcément féministes déclarées, pas toujours militantes avant d’être sollicitées par le mouvement, ces femmes apprennent dans l’action et certaines intègrent des grosses ONG ou agences internationales. Visibles, elles ne laissent pas la question des femmes roms tomber dans l’oubli.

 Fête au Village de la Solidarité avec les familles roms à Indre , Septembre 2012.

La France à la traîne

Claire Auzias tire son chapeau à l’Espagne, « terre d’élection du féminisme tsigane. On retrouve l’esprit de la lutte contre le franquisme. » De nombreuses « associations de citoyen.nes espagnol.es de culture gitane » y pratiquent la solidarité, notamment envers des femmes fragilisées.  L’historienne évoque un colloque où des femmes roms de tous âges s’exprimaient. Elles répondaient à la question : quel est ton rêve ? Revint en force « la question centrale de l’éducation pour soi-même et pour ses enfants. »

La France, en revanche, accuse un net retard sur ses voisins : « Si je comptais les associations, je n’en trouverais pas cinq. » Des années 1950 aux années 1980, explique l’historienne, le clergé catholique exerçait une influence quasi exclusive sur les roms et promouvait un mode de vie très traditionnel. « Le pentecôtisme a pris la relève. Les Roms disent que ça leur a apporté le refus de la violence et de la marginalité. Mais c’est une catastrophe en ce qui concerne la vie privée. Interdiction de la contraception, les femmes ne doivent plus danser, les jeunes ne doivent pas bouger. Les gens sont complètement étranglés. Pour l’émancipation des femmes, c’est une calamité. »

Malgré l’évolution de leur condition, les femmes roms subissent toujours une obligation : la virginité au mariage. Cette exigence est pour Claire Auzias une « empreinte méditerranéenne, qui date d’avant l’islamisation, qui s’est renforcé dans les pays islamisés. Le bassin méditerranéen remonte ici jusqu’à la mer Noire.  C’est la raison pour laquelle on retire les adolescentes de l’école et on les marie. Après, si ça ne vous convient pas, vous pouvez divorcer dès le lendemain.» Mais malheur à celles qui refusent de « payer l’impôt de la virginité », garant de l’honneur de sa famille, avant de s’émanciper : « Elles s’exposent, comme toutes les féministes, comme toutes les femmes qui transgressent, à des problèmes qu’elles devront régler individuellement. »



[1] Entre autres ouvrages, Claire Auzias a fait paraître en 2009 aux Éditions Egrégores,  Chœur de femmes tsiganes, recueil d’entretiens avec des femmes roms en Europe, avec des photographies d’Éric Rosset.