Donner de l’énergie à la lutte contre les violences

Il y a douze ans, Ernestine Ronai donnait le départ d’une structure innovante : l’Observatoire départemental de Seine-Saint-Denis des violences envers les femmes. Expérience concluante, qui a essaimé sur le territoire, et apporté des enseignements précieux pour intensifier la lutte.

 

 

Conférence - débat avec Ernestine Ronai, invitée par Solidarité Femmes de Nantes, à L'Espace Simone de Beauvoir, le 22 avril 2014 .

En 2012, l’alors ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, nommait Ernestine Ronai coordinatrice nationale de la MIPROF (Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains). Un choix prometteur puisque la militante féministe de très longue date, institutrice puis psychologue scolaire, secrétaire nationale de l’UFF (Union des femmes françaises, futur Femmes Solidaires) dans les années 1990, conduit depuis 2002 le premier Observatoire départemental des violences envers les femmes, soutenu par le Conseil général de Seine-Saint-Denis. Sa constance et son dynamisme lui ont valu en septembre 2014 d’être promue Officière de l’Ordre national du Mérite.

 

Savoir pour pouvoir

Ernestine Ronai sait de quoi elle parle et elle transmet son savoir avec générosité. « Les violences prennent de l’ampleur, rappelle-t-elle. Il faut absolument être efficaces. » Or, cette efficacité passe par un partenariat entre les professionnel.les concerné.es, travailleur.ses sociaux, policier.es, gendarmes, médecins, pharmacien.nes, avocat.es, magistrat.es. « Il faut des partenariats forts, bien construits, structurés, avec des lieux d’échanges. Nous devons travailler dans l’égalité. Nous avons toutes et tous une compétence et ce qui compte, c’est que cette compétence soit mise au profit de la lutte contre les violences. Nous devons aussi travailler dans la confiance. Nous avons toutes et tous des dysfonctionnements, et devons avoir le courage de les regarder et d’en parler. » Ce partenariat nécessite des formations, qui permettent de « parler le même langage ».

Mais pour combattre les violences faites aux femmes, encore faut-il avoir mesuré l’ampleur du problème, « de la façon la plus scientifique possible ». Ernestine Ronai y tient, la MIPROF s’y emploie. Ses enquêtes ont fait sortir des chiffres plus précis. Par exemple, en additionnant le nombre de personnes, femmes, hommes et enfants, tuées ou suicidées dans le cadre des violences dans les couples officiels ou non officiels, on arrive à trois cent quatorze pour l’année 2012. Beaucoup plus que le chiffre sur lequel on communique communément, une femme tuée tous les deux jours et demi.

Ernestine Ronai insiste sur le coût financier pour la société : « C’est important pour obtenir plus de moyens et que la société prenne conscience de l’ampleur des dégâts humains mais aussi économiques. » La différence entre le coût des démarches volontaristes, 62 millions pour le plan violences, et celui des dépenses incontrôlées dues aux violences, 2 milliards et demi pour 2008, saute aux yeux. Une vaste enquête donnera des éléments précis en 2016.

 

Indispensables partenariats

Les recherches n’empêchent pas de lancer, suivre, valoriser les bonnes pratiques. Le téléphone d’alerte, expérimenté en Seine-Saint-Denis, en voie de généralisation au plan national, outre son rôle de protection des femmes en danger, « responsabilise toute la société et particulièrement, la chaine judiciaire. » En Seine-Saint-Denis, le procureur remet lui-même le téléphone. « Cela indique que la justice décide de protéger les femmes, ce qui n’est quand même pas rien. » L’ordonnance de protection créé un protocole incluant tou.tes les référent.es, ce qui garantit à la victime de violences un accueil compétent.

La MIPROF aide en outre au développement des Observatoires locaux ou régionaux. Jusqu’à récemment, la plupart des profession.nelles impliqué.es ignoraient, sauf démarche personnelle, tout du comportement à adopter face à des femmes victimes de violence. La loi prévoit désormais qu’ils reçoivent une formation initiale et continue. Mais pour former les élèves ou praticien.nes, il faut d’abord former les professeur.es. Tout se prépare avec des groupes d’expert.es, qui travaillent à créer une « culture commune », avec des références qui permettent de repérer et prendre en charge le problème.

Le premier plan de lutte contre la traite des êtres humains est en travail. Concernant les violences, dont la prostitution, le quatrième plan est entré en action. Au fil du temps, expériences et réflexion approfondissent la connaissance, apportent de nouvelles pistes de travail, favorisent la prise de nouvelles mesures. Celles-ci concernent le logement, avec « Un toit pour elles », qui accompagne la sortie d’un logement d’urgence vers un logement pérenne ; la santé, avec l’ouverture dans des dispensaires de consultations en psycho-trauma, pour les dames et pour leurs enfants ; l’information, avec la création d’outils, en particulier en direction de la jeunesse ; la protection des enfants, covictimes des violences dans un couple, avec l’accompagnement lors des visites au père, qui les encourage à exprimer leur souffrance. Le succès passe aussi par l’implication des institutions : « C’est tout le sens des protocoles », souligne Ernestine Ronai.

La construction de partenariats aident tant les accompagnant.es que les victimes à tenir durant un parcours judiciaire qui dure parfois longtemps. « Si je suis toute seule à aider une victime, on va s’épuiser ensemble. », souligne Ernestine Ronai, qui mise beaucoup sur le renforcement du partenariat avec la justice. « Il faut impliquer les personnes. » Obstacle : les personnes en poste bougent. Il faut donc renouveler sans cesse les approches. « Cela nous oblige à nous renouveler nous-mêmes. Ce qui n’est pas quelque chose de dramatique en soi ! »

 

Ernestine Ronai sera à Nantes le 2 décembre, pour participer à une Journée d'échanges et de réflexions consacrée aux violences conjugales et à leurs impacts sur les enfants, victimes directes ou indirectes.