La place du père en périnatalité

par Roberte Laporal, musicothérapeute

L'accompagnement de couples au cours de la période prénatale me parait être une intervention fondamentale au cœur de la prévention primaire et secondaire. C'est ainsi que je me suis intéressée à la place de l'homme proposant l'hypothèse que je vous présente, à savoir : « Les Nouveaux pères sont en réalité les Premiers Pères ».

 

Depuis une trentaine d'année, alors que les femmes s'émancipent de la représentation de la compagne ou de la fille douce et docile pour retrouver une certaine liberté sexuelle et professionnelle, des hommes se sont approchés d'une image paternelle moins sévère, plus proche de leur progéniture, devenant alors, des fournisseurs de soins. Un rôle usuellement dévolu aux femmes. En effet, ces deux mouvements de l'homme et de la femme, sont bien interdépendants l'un de l'autre, car liés par la même représentation qu'est le féminin, ou ce que l'on nomme féminin. Cette  féminitude, qui encore chez beaucoup d'entre nous, hommes et femmes, est difficile à vivre.  Un détour par l'histoire du père, pourrait permettre de comprendre pourquoi cette peur du féminin est si profondément enracinée en nous.

 

La première chose à savoir, c'est que l'homme est physiologiquement appelé à paterner, tout autant que la femme est elle-même appelée à materner. En cela la nature, « Bonne Mère » a prédisposé chez le futur père, un fonctionnement en miroir face à la future mère. Ainsi lorsqu'une femme va devenir mère, son corps va envoyer différents signaux au corps du futur père. Celui-ci va alors subir un bouleversement hormonal qui jusqu'à ce jour est peu connu. Les modifications biologiques vont  se manifester sur le mode du "U", entre trois temps qui correspondent aux trois trimestres de la grossesse. Les taux de testostérone, de cortisol vont baisser, alors que le taux de prolactine va augmenter deux mois avant l'accoucchement. De l'oestradiol détectable est même apparu parmi les hommes sujets de cette recherche menée au Canada il y a plus de dix ans. L'étude présentée en juin 2000 par les biologistes canadiennes Berg et Wynne-Edwards[1] cite " Parmi ces canadiens volontaires assistant aux cours de préparation à la naissance , les futurs pères avaient des taux de testostérone et de cortisol plus bas et des taux de concentration d'oestradiol détectables, plus élévés que dans le groupe contrôle... L'importance physiologique de ces changements hormonaux, toutefois, n'est pas connue. Pourtant ces hormones sont reconnus pour influencer un comportement maternel." 

  

Depuis vingt ans, il est possible de "dire" que tout être humain possède des hormones masculines et hormones féminines, information désormais vulgarisée. Mais en réalité l'apparition du féminin chez l'homme, c'est à dire l'homme avec des qualités dites féminines ou bien encore l'homme efféminé légèrement ou à outrance, continue à perturber une certaine bienséance conservatrice particulièrement dans les pays chrétiens. A l'image des manuels scolaires à l'origine d'une polémique l'été 2011, où le discours scientifique sur le genre a été confronté à un certain ordre moral.

Il faut déjà avoir conscience que dans le contexte qui est le nôtre, à savoir, la périnatalité, les hommes par le passé ont été fournisseurs de soins auprès de bébés et de petits enfants. Ainsi les pharaons avaient des nourrice-hommes dont le titre comportait bien le lien au sein de la mère : « nourrice au doux sein ». Par ailleurs on connaît la portée pédagogique des vitraux et peintures dans les églises, chargés d'instruire les fidèles peu nombreux à avoir accès à l'écriture ou à la lecture. Bien que disparues en grande majorité, on en découvre encore montrant un père affectueux, se promenant ou jouant avec Jésus, coupant des langes ou préparant la bouillie... On se trouve alors loin des représentations du père traditionnellement présentées dans nos sociétés occidentales, mais en présence d'hommes qui ont eu une portée historique avec des qualités dites féminines.

En période prénatale ou stade préliminaire

Le féminin chez l'homme, le masculin chez la femme semblent avoir été particulièrement présents dans toutes les cultures, et tout particulièrement au cœur de la grossesse.

Ce temps a été vécu universellement comme un temps où la femme contamine l'homme. Et étonnamment, les sociétés semblent s'être construites autour du regard porté sur la couvade des futurs pères. Un temps où un bouleversement physiologique et psychique ébranlait l'homme, l'amenant à laisser paraître des symptômes réservés à la seule femme enceinte : le syndrome dit « de la couvade » avec la prise de ventre comme événement  le plus connu, mais aussi nausées, vomissements, fatigue, maux de dents, de jambes... En réalité la manifestation d'un travail psychique mais non d'une maladie. Le mot syndrome appliqué à la couvade dénote bien l'aspect tabou et donc hors norme de ce phénomène pourtant naturel. Lorsque ce regard accueillait ce temps, ce qui apparemment  fut le cas de toutes les civilisations, l'homme était considéré comme étant une entité mâle temporairement devenue une entité féminine au cours de la grossesse, voire de la période postnatale... D'où la mise en place de rituels de la couvade incluant le père de façon précoce dans le lien à l'enfant, à l'image de la mère : tabous de faire, tabous de manger. Le rituel de la couvade, excluait le père du monde des hommes.

En période natale ou stade liminaire

Il est ainsi possible de déterminer au moins deux types de pratiques autour de la naissance. Le rituel nommé « rituel de la couvade » où l'homme se séparait des autres hommes afin d'accompagner la future maman au cours de la grossesse. Le rituel de la couvade a eu la primauté sur les rituels de naissance car c'est un rituel qui basé sur les mouvements psychiques et physiologiques du père comme de la mère, relèverait de l'acceptation de ce temps, et de l'émotionnel qui se donne à vivre. Et en second lieu, certains rites de naissance au cours desquels le père face aux bouleversements imposés par le temps de la grossesse, se trouverait dans une position de retrait, de déni, de désengagement, sans apparition d''une quelconque apparition ou symbolisation d'un  féminin chez l'homme.

 

Issu du rituel de la couvade, on découvre que par le passé, la castration  était l’élément central de la grossesse primitive au coeur des pratiques autour de la naissance.

Ce rite a pour origine le principe que l'homme fait apparaître son féminin au moment de devenir père à l'image du bouleversement hormonal méconnu amenant un comportement dit maternel. Cependant, ces rituels soulignent par-dessus tout, le fait qu'il n'est pas possible de devenir père sans mettre de côté son phallus, autrement dit sans mettre de côté la construction sociale masculine et dominante, issue d'une société patriarcale particulièrement mais aussi matriarcale signifiant que l'homme culturellement, au cours de la grossesse se trouve en opposition, en difficulté, avec le schéma naturel de la procréation. D'où le lien avec l'accouchement pratiqué par des hommes, symbolique de par la position mais hautement réel de par l'émotion qui y trouve sa place la plus importante.

Car le nouveau-père doit pouvoir laisser libre-court à ses émotions afin de permettre le développement de la notion d'attachement. Le couple Parker et Parker avait noté qu'il existait moins d'agressions sexuelles chez les parents ayant pris soin de leur enfant. Ainsi le fait d'éprouver des émotions, de l'empathie et de la sympathie, permet à un parent de se mettre à la place de son petit  et d'éprouver ses besoins, étape fondamentale afin de lui prodiguer les soins nécessaires au moment opportun. Si l'accès précoce du père au soin questionne parfois, il faut avoir connaissance des faits suivants rapportés par Jean-François Saucier : «D’autre part, on s’inquiète parfois de l’implication du père dans les soins physiques du bébé féminin, craignant une facilitation d’une relation incestueuse par ces soins intimes. Or deux études considérables (Parker et Parker, 1986 ; Williams et Finkelhor, 1995) ont non seulement montré que cette inquiétude était non fondée mais qu’au contraire les pères impliqués dans les soins physiques de leur fille avant l’âge de deux ans avaient par la suite des comportements incestueux beaucoup moins souvent que les pères non impliqués durant cette première période de vie. » [2]

 

Focalisées sur les soins en direction des filles, cette étude démontre cependant bien l'intérêt de favoriser le développement de l’accès précoce du père aux soins de l'enfant au travers d'un attachement qui se fera au travers d'une expression des émotions chez le père.

La période postnatale-postliminaire

Le temps de l'homme féminin prend fin ritualisé par un temps de prescription du masculin, et de proscription du féminin. Temps où l'homme peut réintégrer ses tâches d'homme, sa famille paternelle, retrouver son nom et les emblêmes des hommes.

De même, la théorie du Mythe de la Contamination  que j'ai développée au travers 1) de la contamination du bébé dans le ventre de sa mère ainsi que la contamination 2) de la matrice utérine porteuse ou pas des bébés mâles ou femelles qui ont précédé Ego, permet la construction d'un genre parfois très spécifique et autre.

Ainsi le rituel de naissance du bébé met celui-ci au centre de la société, le rituel pubertère définit le genre du bébé devenant un adulte et le rituel de naissance/couvade des parents gèrent la transmission du genre entre la mère, le père et le nouveau-né. Ces trois rituels sont à mon sens un seul rituel.

 

Musicothérapie et périnatalité

D’après Rolando Omar BENENZON, psychiatre et psychanalyste, musicien et compositeur,   l'un des pionniers mondiaux de la musicothérapie. Fondateur de la première Faculté de Musicothérapie, à Buenos Aires, il y a plus de 40 ans, il est aussi le découvreur du Principe de l'ISO (Identité Sonore). La musicothérapie est cette partie de la médecine qui étudie le complexe son/être humain/son ayant pour but, utilisant le mouvement, le son et la musique, d'ouvrir des canaux de communication chez l'être humain avec l'objectif d'obtenir des effets thérapeutiques, psychoprophylactiques, ainsi qu'une amélioration pour lui et pour l'entourage. C'est en tant que Musicothérapeute que j'ai pu observer de futurs pères et me questionner sur ce que leur corps, au travers du non-verbal, laissait transparaître. C'est ainsi que ce travail de recherches a commencé, pour se poursuivre encore aujourd'hui [3].

 

La grossesse, considérée comme le second lieu des enjeux identificatoires après l'adolescence, n'est pas reconnue en tant que tel par les futurs parents bien souvent contraints de se conformer à une image de plénitude imposée par l’inconscient collectif, le poids social.

Au travers du non-verbal, les futurs parents peuvent travailler l'accès à leur identité propre, comme les représentations paternelles et maternelles souhaitées, possibles, la communication au sein du couple comme au sein de la famille. En somme, le fonctionnement triphasé de la nouvelle carte familiale avec l'arrivée de bébé est anticipée.

 

C’est un travail personnel possible pour chaque personne participant à la séance, dans un travail individuel ou de groupe, avec des couples ou des familles.

 

Ce sont les productions sonores, gestuelles, vocales qui parlent pour chacun, pour le couple ou pour la famille et qui permettent d'avoir accès aux remaniements internes provoqués par la transparence psychique. Ce phénomène qui résulte de l'injonction psychique, bouleverse les futurs parents, et les poussent à régler au mieux leur(s) problème(s) afin de pouvoir d'autant mieux accueillir bébé. C'est la remise en corps de la grossesse au sein de ces séances par une appropriation et une intégration des émotions générées par ces mouvements psychiques et hormonaux qui permet au père d'accéder à une posture d'engagement psychique face à la future maman et face au bébé.

 

Car tout bouleversement dans une vie nécessite un ajustement psychique. Depuis toujours la nature a paré le futur père comme la future mère de la capacité de se questionner, de se préparer et de s'ajuster à l'arrivée de bébé. Méconnu sous cet aspect, ce temps de la grossesse s'impose enfin à nous, permettant aux futurs parents, à l'image des premiers pères et des premières mères, d'écouter les émotions suscitées par le féminin de chacun de nous avant d'accueillir bébé.

 

Roberte laporal est l'auteure de La Couvade, le premier rite, le dernier tabou, le grand malentendu - Les 3 Contaminations, Editions les voix d'Ella, Nevers, Janvier 2011.

Lire son portrait

 

 

1. Sandra J. Berg, Msc; Katherine E. Wynne-Edwards, PHD, Changes in Testosterone, Cortisol, and Estradiol Levels in Men Becoming Fathers” From the Department of Biology, Queen’s University, Kingston, Ontario, National Library of Canada

2. J.F. Saucier, L’Occident se questionne sérieusement sur la paternité, Éditorial – Revue de santé Mentale au Quebec, Volume XXVI, numéro 1, Printemps 2001,Quebec 

 3 Rédaction d'un livre auto-édité : Roberte laporal, La Couvade, le premier rite, le dernier tabou, le grand malentendu - Les 3 Contaminations, Ed les voix d'Ella,

Nevers, Janvier 2011.