Un sommet d'un autre genre

5è Forum international des droits humains

 

 

 

 

 

 

 

 

Il se tenait à la Cité des Congrès

à Nantes, du 22 au 25 mai.

L’après-midi du jeudi 23 était consacrée à un atelier / table ronde

sur le thème :

Droits des femmes et des filles

dans le monde, condition

du développement durable ?

Hélas ! la salle était clairsemée – pas plus de cinquante personnes.

On regretta l’absence, pour non obtention d’un visa, de Fatoumata SIRE DIAKITE, ancienne ambassadrice du Mali en République fédérale d’Allemagne, présidente de l’Association contre la traite des femmes.

Puis l’absence d’interprète en langue arabe. Cela nuisit à la fluidité des échanges avec l’intervenante marocaine Saadya El Bahi, qui ne maîtrise aucune des langues relayées par un.e interprète, français, anglais et espagnol. Une accompagnatrice de la délégation assura la traduction. Une carence et une négligence notables, compte tenu de l’importance des enjeux en matière de droits des femmes au sein des mouvements politiques, dans les pays arabes en pleine mutation.

Cependant, les échanges furent très enrichissants. Chacune des participantes de ce panel international proposant son éclairage sur la situation des femmes en son pays.

Elisabeth HOFMANN [1], 
animait cette table ronde, dont elle cerna les questionnements.

Comment envisager un développement durable de la planète quand l’immense partie de sa population ne peut faire respecter ses droits fondamentaux d’intégrité  physique, quand  la situation de vie des jeunes filles et des femmes est en recul ? Comment cette situation pourrait-elle être compatible avec un développement durable ?

Quid des droits des femmes, quelles avancées avec l’évolution récente des « printemps arabes » ? Cette évolution est ambiguë voire néfaste pour les droits des femmes dans ces pays. Dans ces mouvements, les revendications pour les droits des femmes n’ont parfois jamais émergé, accusant plutôt un recul. Nous assistons même ces dernières années à un « retour de balancier » par rapport à des situations antérieures.

Au Mali où la défense des droits des femmes faisait partie des enjeux, qu’en est il réellement aujourd’hui ?

Comment les conventions internationales CEDAW[2] peuvent-elles représenter un instrument judiciaire pour l’avancée en égalitéE ?

 

Amina Soussi [3] exposa la situationen Tunisie.

Alors qu’un mouvement d’émancipation des femmes pour leurs droits (« la Voix de la femme ») avait promu l’égalité, fait évoluer le code du statut personnel, que les femmes représentent 60% des étudiant.es dans les universités, elles sont maintenant aux aguets face aux inégalités dans la société civile et au travail, et à l’obscurantisme qui s’installe.

Un nouveau fléau : après l’Egypte et l’Arabie Saoudite, le mariage coutumier se multiplie, parmi les milieux défavorisé mais aussi dans les universités. Ce mariage exclusivement religieux ne nécessite pas d’accord parental et n’a aucune valeur légale. Il reste interdit, mais les salafistes font pression pour lever l’interdiction. On assiste également à un retour à la polygamie.

Les femmes étaient là le 14 janvier 2011 pour défendre le pays et sa marche vers la démocratisation. Or, aujourd’hui, les intégristes parlent du danger du travail des femmes. Il est question de prolonger le congé de maternité à 5 ans. Ce qui signifie : « laisse ta place à l’homme », « femme, tu es dépendante de l’homme ». Il est n’est plus question d’égalité mais de « complémentarité ».

Aucune femme n’occupe de première place en représentation politique. Il faut que les femmes s’imposent en politique, dans les postes de décision.

A l’époque de Bourguiba, la Tunisie avait ratifié la convention CEDAW, des réserves sont aujourd’hui levées contre certains articles : un réel danger.

Mandira SHARMA[4] évoqua un défi pour son pays, le Népal, en voie de développement.

Alors que le mariage est arrangé entre enfants, forcés pour les femmes, et qu’il y a trafic de femmes et d’enfants, le Népal connaît des conflits violents, où les femmes sont les plus vulnérables.

Elles représentent 62% de la population mais moins 15 % reçoivent une instruction.

Quels sont les indicateurs du développement durable ? Il faut aller plus loin, les femmes vont y contribuer. Mais il faut obtenir des engagements politiques.

Des conventions internationales ont été ratifiées (dont la CEDAW en 1991), mais leur transposition dans le droit national n’a été gagnée qu’en 2009 avec l’annulation de toutes les lois discriminantes.

En théorie, car les délais requis (35 jours, au-delà desquels il y a prescription.) pour saisir la loi, restent un obstacle. A ce jour, pas UNE seule victime de viol n’a pu se faire reconnaitre au regard de la justice. La gageure c’est que la loi soit en concordance avec la réalité.

Sur la dignité des femmes il y a des défis et il faut s’y attacher.

Cintia Pires[5] rappela la situation d’extrême violence au Brésil.

Le Brésil est au 7ième rang mondial des pays pour le meurtre des femmes et ce, non pas dans la rue, mais dans le cadre de violences « domestiques ».

On ne peut faire l’impasse sur la question du genre pour envisager un développement durable. Il faut développer l’empowerment[6] des femmes, favoriser les perspectives d’actions individuelles et collectives.

 Il y a au Brésil un Secrétariat des droits des femmes, avec mille sept cents déléguées dans le pays, dans les municipalités. Les associations de femmes, se font entendre pour envisager un plan d’actions.

Jacqueline Cadio[7], souligna le paradoxe français.

Une société, un état démocratique comme la France, ne supposerait pas une telle situation inégalitaire - dans le travail domestique, les rémunérations, la vie politique... Et les violences ! Une enquête révèle qu’une femme sur dix est victime de violences conjugales, de la part de son partenaire ou ex-partenaire.

Une femme meurt tous les deux jours et demi sous les coups. On relève cinq fois plus de suicides chez les femmes ayant été victimes de violences que chez les autres. On dénombre deux cent mille viols par an, dont la majorité sont conjugaux.

Les droits existant, mais pas l’exercice des droits, en particulier dans la sphère « privée ». La question se pose des moyens d’application de la loi.

Les femmes étant minoritaires dans le monde politique (20% à l’assemblée), le manque de femmes dans les espaces de décisions entretient l’idée de traiter l’égalité comme une question « à part », alors qu’elle est de fait une question transversale.

Il est à noter que toutes les discriminations et violences se potentialisent les unes avec les autres.

En France le nouveau gouvernement s’est doté à nouveau d’un ministère des droits des Femmes avec une mission, d’observation, de mesure et une mission interministérielle, transversale.

Saadya El Bahi[8)s’étonna et déplora que l’organisation des débats n’ait pas prévu de traduction de l’arabe (compte tenu de la thématique, de la situation internationale actuelle), compliquant ainsi son intervention.

Quelle évolution pour la « démocratie de Printemps » ? Quelle avancée avec le mouvement féministe et le journal 8 mars ? Dans les années 1990, le journal 8 mars,  sur la base de « laissez-moi parler », a permis aux femmes de s’exprimer sur les discriminations, les violences qu’elles ont subies. Avec ce journal, un vrai courant est né, une collecte de témoignages et dix millions de signatures de pétitions. Tout un parcours, un mouvement qui a fait bouger les lois en faveur de l’égalité, fait changer le code de la famille. Un mouvement puissant, une révolution « calme » portée jusqu’au Roi, qui a été un départ pour l’évolution générale, la liberté de la presse, de l’expression.

Tout ce qui n’est pas mesuré n’est pas pris en compte ; il faut « des yeux », un observatoire des violences à l’égard des femmes.

La lutte pour les droits sociaux et culturels se fait à travers les droits politiques ; là où est la prise de décisions, avec les mouvements politiques.

Les femmes occupent 17% des sièges parlementaires. Que va-t-il en advenir ?



 


[1]Elisabeth HOFMANN est enseignante-chercheure à l’Université de Bordeaux III ; membre et ancienne coordonnatrice de Genre en Action, réseau francophone international sur la thématique Genre et développement ; responsable de la Chaire Unesco sur la formation de professionnel-le-s du développement durable.
 

[2] CEDAW = Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. En chantier depuis 1967, rédigée à partir de 1974, adoptée en 1979 par l’Assemblée générale des Nations Unies, elle est entrée en vigueur en 1981, après avoir été ratifiée par vingt pays du monde. Toute discrétion est laissée aux États de la signer, ou non. Parmi ceux qui n’y ont pas adhéré, on trouve l’Iran... et le Vatican ! Les États Unis l’ont signé en 1979, mais toujours pas ratifiée.

[3]Amina Soussi est présidente de l’association « La Voix de la femme » de Madhia Tunisie.

[4]Mandira SHARMA est avocate et militante des droits humains, fondatrice d’Advocacy Forum – Népal. En savoir plus 

[5]Cintia Pires est juriste et thérapeute a l’Institut Noos (ONG) à Rio de Janeiro, Brésil.

 

[6] L’empowerment est l'octroi de plus de pouvoir aux individus ou aux groupes pour agir sur les conditions sociales, économiques, politiques ou écologiques qu'ils/elles subissent. Diverses traductions ont été proposées en français : « capacitation », « développement du pouvoir d'agir », « autonomisation », « responsabilisation », « émancipation ». Le concept est né au début du XXe siècle aux États-Unis dans un contexte de lutte. Conçu alors comme gain de pouvoir face à un groupe dominant, le concept peu a peu a été utilisé dans une vision plus large et plus floue, proche de celle de la participation. Dans les institutions internationales, l’empowerment peut être utilisé dans une vision néolibérale. L'idée est désormais au cœur des politiques de lutte contre la pauvreté et de développement, notamment dans le cadre de politiques urbaines. (source Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Empowerment)

[7]Jacqueline Cadio est présidente de la Fédération Solidarité Femmes Loire-Atlantique , France.

[8]Saadya El Bahi est directrice du centre ANNAJDA d’assistance aux femmes et aux enfants victimes de violence (Union Action Féminine, Agadir) et députée, membre du Comité social au parlement - Maroc.