Des dispositions particulièrement dangereuses pour les femmes salariées

par Laurence Cohen

Manifestation contre l'ANI, Nantes, 5 mars 2013. Regarder le reportage

Sécurisation de l’emploi : explication de vote sur l’exception d’irrecevabilité

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en plus de constituer un recul sans précédent pour les salariés, ce projet de loi renferme les motifs d’inconstitutionnalité qui viennent d’être exposés par Dominique Watrin. Aux yeux des membres du groupe CRC, il serait particulièrement regrettable que, tout en contribuant à réduire les droits des salariés, le Gouvernement encoure en outre, comme il l’a déjà fait avec la taxe à 75 %, la censure du Conseil constitutionnel.  

Il y a même fort à parier que, demain, dans les entreprises confrontées à des plans sociaux, des organisations syndicales appartenant à des confédérations ayant pourtant signé l’accord national interprofessionnel, l’ANI, conseilleront à leurs adhérents de saisir la Cour de cassation afin de soulever une question prioritaire de constitutionnalité, en s’appuyant sur les motifs que Dominique Watrin a présentés.  

 

Je voudrais compléter son argumentation en soulevant une autre question, à laquelle ma collègue Brigitte Gonthier-Maurin et moi-même sommes particulièrement attachées : celle de l’égalité entre les femmes et les hommes. Ce projet de loi contient, notamment à son article 8, relatif au temps partiel, des dispositions particulièrement dangereuses pour les femmes salariées. Il prévoyait à l’origine que, dans les entreprises couvertes par un accord de branche étendu, les salariés à temps partiel puissent conclure jusqu’à huit avenants par an afin de moduler à la hausse leurs horaires de travail.  

Les travaux de l’Assemblée nationale ont conduit à des aménagements du dispositif. Le texte prévoit maintenant que, en cas d’accord, les quatre premiers avenants pourront donner lieu à la réalisation d’heures supplémentaires majorées de moins de 25 % (M. le ministre s’exclame.), tandis que les quatre suivants ne pourront être signés qu’à la condition que les heures effectuées dans le cadre de ces avenants soient majorées d’au moins 25 %. Cette modification salutaire est la bienvenue, mais il n’en demeure pas moins que, en adoptant, conformément à la demande formulée par le MEDEF depuis des années, le droit à la modification permanente des conditions et du contrat de travail des salariés à temps partiel, on fragilise singulièrement le droit des salariés. On fait comme si les besoins de l’entreprise devaient en toutes circonstances primer sur les intérêts des salariés.

 

Comme l’a rappelé notre collègue Catherine Génisson, si les femmes représentent 47 % de la population active, elles représentent une bien plus grande part des salariés à contrat précaire, et notamment de ceux qui occupent des emplois à temps partiel. Au cours des dernières décennies, les contrats précaires se sont multipliés, en vertu de l’argument, repris, d'ailleurs, dans ce projet de loi, qu’il faut assouplir le droit du travail car il est trop rigide.

Concentrés sur des emplois non délocalisables tout en étant fortement consommateurs d’une main-d’œuvre peu qualifiée et mal rémunérée, ces contrats sont principalement proposés aux femmes.

Au vu de ces éléments, que personne ne conteste, nous considérons que l’article 8 du projet de loi (M. le ministre s’entretient avec Mme la présidente de la commission des affaires sociales.) – vous ne semblez pas passionné par ce que je dis, monsieur le ministre – inflige un traitement différent, injustifié et disproportionné à une partie de la population. Selon la Cour de cassation, il s'agit d’une discrimination indirecte. Cette expression vise notamment les mesures qui affectent une proportion nettement plus élevée de personnes d’un sexe donné. Lorsque 82 % des personnes auxquelles s’impose une mesure injuste sont des femmes, nous sommes bien face à une mesure discriminatoire. De plus, le principe de la durée minimale de 24 heures hebdomadaires, qui constitue indéniablement une sécurité pour les salariés à temps partiel, puisqu’il leur assure une rémunération minimale, est plus que remis en cause par le projet de loi, qui prévoit que, par dérogation à ce principe, un accord collectif pourra décider l’annualisation de la durée de travail. Or l’annualisation constitue – ou peut constituer – une technique de contournement de la loi, comme le souligne Catherine Génisson dans son rapport. Qui plus est, le principe de la durée minimale de 24 heures hebdomadaires est également battu en brèche par ce que les partenaires sociaux ont appelé les « compléments d’heures », lesquels permettent de déroger par avenant à la durée légale de travail.

Mises bout à bout, ces exceptions cumulées constituent une atteinte permanente au droit des salariés à avoir une organisation du travail compatible avec le respect de leur vie privée et familiale. Nous ne pouvons accepter que le Sénat adopte en pleine connaissance de cause un projet de loi qui bafoue les règles fondamentales de notre République, selon lesquelles les femmes et les hommes naissent libres et égaux. C'est pourquoi, en accord avec les propos de Dominique Watrin, et en m’appuyant également sur les remarques formulées par Catherine Génisson au nom de la délégation aux droits de femmes, je vous invite à refuser l’accroissement des discriminations illégales qui pèsent sur les femmes. Et la meilleure façon de le faire, c’est de voter la motion que nous vous proposons.

 

Sur l’article 8 :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs jours maintenant, nous parlons beaucoup de précarisation, de flexibilité et de risque accru de licenciement. Malheureusement, ces réalités sont souvent à accorder au féminin.

J’illustrerai mon propos par quelques chiffres qui complèteront l’intervention de ma collègue Annie David.

Les femmes représentent effectivement près de la moitié de la population active, plus de la moitié des chômeurs et environ 80 % des travailleurs précaires, des travailleurs pauvres et des salariés à temps partiel. Leur salaire moyen est inférieur de 27 % à celui des hommes et de 19 % si l’on ne considère que les emplois à temps complet.

Ces chiffres sont connus, mais il n’est pas inutile de les rappeler, car ils pourraient être plus largement médiatisés.

Les femmes sont près de deux fois plus nombreuses que les hommes à toucher le SMIC.

Leur taux d’emploi est toujours inférieur à celui des hommes, sans autre raison que la persistance des stéréotypes sexistes. Leur taux d’indemnisation du chômage est inférieur à celui des hommes. Leur pension de retraite ne représente que 58% de celle des hommes et elles constituent 75 % des bas salaires, alors qu’elles représentent plus de 60 % des diplômés.

Ainsi, l’égalité entre les femmes et les hommes n’est pas seulement un objectif de justice sociale, qui pourrait en soi être suffisant, mais aussi un moyen de relancer l’emploi et l’activité économique.

Il y a de ce point de vue beaucoup de gâchis, dû pour une large part au manque de confiance qui leur est accordé au prétexte même de leur sexe. Ces futures mères de famille auront forcément « la tête plus à la maison et aux enfants qu’à l’entreprise » – j’ose le redire ici car, à l’occasion du débat sur le mariage pour tous, nous avons entendu quelques horreurs, et nous en entendons encore ! – et qui afficheront une moindre résistance psychologique en situation de stress ou de conflit, sans parler de la résistance physique qui ferait défaut pour nombre de métiers dits « masculins ».

Aussi, ce que l’on pouvait attendre de ce projet de loi, ce sont des mesures concrètes qui auraient pu contribuer à en finir avec les inégalités dans le domaine professionnel. De nombreuses associations, syndicats et organisations ont élaboré des propositions que nous pourrions mettre en partage, d’autant que ce Gouvernement comprend, et c’est une bonne chose, un ministère des droits des femmes, que nous avons appelé de nos vœux, et que la ministre en charge a affirmé à plusieurs reprises qu’elle se battait au sein du Gouvernement comme à l’extérieur pour faire avancer ces idées.

En tant que sénatrices et sénateurs, nous devrions soutenir ces propositions, pour qu’elles deviennent réalité et qu’elles ne restent pas lettre morte. On sait en effet combien il est nécessaire de se mobiliser si l’on veut qu’elles aboutissent.

Parmi ces mesures, je pense notamment à une augmentation significative du SMIC, à une revalorisation des salaires des métiers fortement féminisés, en reconnaissant les compétences techniques, relationnelles et la pénibilité de ces métiers, ou encore à des mesures contre l’emploi à temps partiel imposé, avec, par exemple, l’instauration de la possibilité pour toute personne à temps partiel de passer à temps complet à sa demande.

Je pourrai bien évidemment compléter la liste. Si je rappelle ces mesures, c’est parce que nous pensons que la manière dont cet article est rédigé risque fort d’accentuer ces inégalités. En quelque sorte, nous avions voulu attirer l’attention du Gouvernement en parlant à ce sujet d’inconstitutionnalité.

Je le répète, toute mesure qui va à l’encontre d’un principe affirmé d’égalité n’est pas bonne et doit être combattue.

Avant d’examiner les dispositions de l’article 8, je veux de nouveau attirer votre attention, mes chers collègues. Nous sommes en 2013 ! Il est temps que les femmes soient reconnues comme étant à égalité avec les hommes et que toutes les dispositions adéquates en termes d’égalité professionnelle soient introduites dans toutes les lois que nous pourrons adopter, et ce d’autant plus lorsqu’un gouvernement de gauche est à la tête du pays !

 

Sur l’article 8 (suite)

Les temps partiels, qui sont surtout imposés aux femmes, et la précarité qu’ils engendrent ne sont pas acceptables, plusieurs intervenantes et intervenants l’ont dit. La multiplication, depuis plusieurs décennies, des emplois à temps partiel nous conduit à poser clairement la question de l’utilité sociale de ces formes de contrats, de leurs effets sur la société et donc de l’opportunité de maintenir le cadre juridique actuel.

Nous considérons, pour notre part, que l’immense majorité de ces contrats ne répondent pas obligatoirement à des besoins spécifiques ni à une finalité industrielle précise, pas plus qu’à des impératifs présentés comme incontournables.

Aujourd’hui, le problème est qu’il n’existe aucun frein à ce que les employeurs fassent systématiquement primer l’intérêt de l’entreprise sur les droits des salariés. Ils sont donc libres de choisir les modes d’organisation de travail qui permettent de dégager le plus de marge bénéficiaire, y compris si cela suppose de faire pression sur les salaires. Je pense particulièrement, entre autres exemples, aux 900 000 caissières à temps partiel que compte notre pays, et qui vivent, ou plutôt survivent, avec des salaires inférieurs à 900 euros par mois.

En fait, on permet aux employeurs de faire de l’optimisation sociale sur le compte de notre système de protection sociale, et ce n’est pas admissible.

Les employeurs ont fait leurs comptes : il est plus rentable pour eux de recruter deux salariés à temps partiel qu’un salarié à temps plein. C’est plus rentable pour eux, mais pas pour la collectivité !

L’article L. 242-8 du code de la sécurité sociale prévoit en effet un abattement en faveur des salariés à temps partiel. Cet abattement d’assiette est destiné à compenser la différence entre le montant des cotisations dues au titre de chacun de ces salariés et le montant des cotisations qui seraient dues pour une durée de travail identique dans le cas où chacun d’eux travaillerait à temps complet.

La question à laquelle nous devons donc répondre est la suivante : les pouvoirs publics doivent-ils continuer à soutenir de tels contrats, qui, notre collègue Catherine Génisson l’a rappelé, constituent des discriminations indirectes à l’emploi à temps plein dans la mesure où l’immense majorité des temps partiels sont proposés aux femmes ? Au groupe CRC, nous répondons par la négative. Nous affirmons même l’inverse !

Les emplois les plus précarisants, ceux qui provoquent le plus de maladies et de stress, qui plombent le plus les comptes sociaux et publics, doivent être taxés dans une proportion telle que les employeurs n’auraient plus d’intérêt à proposer de tels contrats.

Pour ce faire, nous proposons que les entreprises qui emploient plus d’un tiers de leurs effectifs à temps partiel se voient imposer une majoration de cotisation sociale – pour la part patronale, s’entend – de l’ordre de 10 %.

 

 

Sur l’article 8 (suite)

Vous l’aurez compris, lutter contre la précarité et les inégalités salariales entre les femmes et les hommes constitue pour notre groupe une priorité fondamentale, car nous savons combien les femmes souffrent de cette situation. Elles en souffrent dans l’entreprise, étant presque dans l’impossibilité, compte tenu des difficultés qu’elles rencontrent, d’accéder aux postes à responsabilités ou de bénéficier d’une rémunération égale à celle des hommes.

Mais elles en souffrent aussi dans leur vie privée, leur pouvoir d’achat étant amputé par les écarts de rémunération qu’elles subissent et par la persistance de la domination patriarcale.

Denise Comanne, militante de la cause des femmes et membre du Comité pour l’annulation de la dette du Tiers-Monde, a particulièrement bien mis en évidence le fait que la domination masculine ne se réduit pas à une somme de discriminations, mais constitue un système cohérent qui façonne tous les domaines de la vie, collective et individuelle. Comment nier que, du fait du modèle patriarcal, les tâches domestiques restent largement dévolues aux femmes ? Comment nier que les femmes sont victimes d’une surexploitation salariale, l’argument invoqué étant que leur travail serait moins productif que celui des hommes ?

En réalité, toutes les excuses sont bonnes pour que le système perdure, avec l’idée que les salaires des femmes ne sont au final que des salaires d’appoint.

C’est encore une manière de minorer l’apport des femmes au travail et à l’économie, ce qui revient à justifier un écart de salaire de l’ordre de 20 %, que nous n’acceptons pas et

n’accepterons jamais.

Il est important de faire progresser les salaires des femmes, car on sait que, quand on tend vers l’égalité entre les femmes et les hommes, on fait progresser l’ensemble du monde du travail. C’est donc dans l’intérêt de toutes et de tous que nous vous proposons d’adopter cet amendement, qui prévoit que la négociation triennale devra aborder la question de la réduction des inégalités entre les femmes et les hommes.

 

Sur l’article 8 (suite)

Cet amendement vise à modifier le taux de majoration applicable au salaire des heures complémentaires accomplies par le salarié à temps partiel. En effet, la majoration de 10 % prévue par cet alinéa, si elle semble correcte, est en réalité largement inférieure à celle qui est appliquée aux salariés à temps plein qui bénéficient, eux, d’une majoration de 25 % pour les huit premières heures supplémentaires.

Il est tout de même paradoxal que les salariés les plus précaires, dont les rémunérations sont les plus faibles, bénéficient de droits minorés par rapport à leurs collègues employés à temps plein.

Jusqu’ici, la majoration de 25 % des heures complémentaires des salariés à temps partiel ne s’appliquait que pour les heures accomplies au-delà du dixième de la durée hebdomadaire ou mensuelle de travail prévue par le contrat, et jusqu’au tiers de cette durée lorsqu’une convention collective le prévoyait.

J’entends bien que les auteurs de cette disposition ont essayé de prendre exemple sur les heures supplémentaires, majorées de 25 % pour les huit premières et de 50 % pour les suivantes. Pour autant, un emploi à mi-temps peut-il faire l’objet de demi-droits ? Pourquoi les heures complémentaires seraient-elles donc majorées à demi-taux, et même moins ?

Tout cela n’a pas de sens : une heure travaillée est une heure travaillée et, si elle l’est au-delà de la durée stipulée dans le contrat de travail, elle nécessite, de la part du salarié, un effort qui n’est guère différent selon qu’il travaille à temps partiel ou à temps plein.

En effet, ces heures complémentaires peuvent compliquer l’organisation du travail des salariés à temps partiel, qui cumulent souvent plusieurs emplois, alors même que, contrairement aux heures supplémentaires, ces heures ne peuvent être converties en repos compensateur.

Nous rappelons que les salariés à temps partiel sont des salariés précaires qui méritent que soit reconnue l’énergie qu’ils consacrent à concilier des activités diverses, bien souvent dans des lieux différents et parfois à des horaires difficilement compatibles. Tout le monde le reconnaît en commission, mais il faut en tirer les conséquences dans la loi !

Par conséquent, il serait bienvenu de faire savoir à ces salariés que leurs efforts valent autant que ceux de leurs collègues employés à temps plein.

C’est pourquoi je vous invite, chers collègues, à prendre en considération, même s’il n’y a pas de débat, cet amendement de justice et de soutien aux salariés précarisés par le temps partiel.

Laurence Cohen, 17 avril 2013

 

Laurence Cohen est sénatrice du Val-de-Marne, Groupe Communiste Républicain Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche