Femmes et conditionnement culturel

par Diana Vivarelli

Stage de BD à l'Espace Simone de Beauvoir, 2003.
Stage de BD à l'Espace Simone de Beauvoir, 2003.

Je suis auteur, écrivain, metteur en scène. J’ai été aussi professeur d’école. Les métiers que j’exerce ne reflètent pas mon genre.

Dans ma langue maternelle, l’italien, je redeviens « scrittrice, autrice, regista, professoressa ». Des détails ? Ils sont légions.

 

Le langage est bien une des premières choses à adapter afin de changer les mentalités. Sans mots, nous ne pouvons pas avoir une identité. Le nom de famille est la première chose qu’on essaie de faire disparaître, dans le mariage et dans la filiation.

Je me bats continuellement pour préserver mon nom de famille, que ce soit auprès d’un notaire, des impôts… Je persiste à utiliser mon nom de… « jeune fille », comme il est écrit sur nombre de papiers officiels, et cela prouve bien que l’âge de raison d’une femme c’est bel et bien celui du mariage ou, tout au moins, du statut de mère. Pourtant, je n’ai jamais ressenti le moindre désir d’enfants. Le fait de l’affirmer publiquement suscite, encore aujourd’hui, suspicion, malaise, ressentiment, méfiance et une sorte d’hostilité.

Décidément, je ne suis pas socialement considérée comme une femme « normale ». Depuis l’enfance, cette sorte d’anormalité sociale me poursuit.

 

Marche Mondiale des Femmes, Bruxelles, 2000.
Marche Mondiale des Femmes, Bruxelles, 2000.

Les contes et les jeux, d’abord. Dans l’enfance, je n’aimais pas jouer avec les poupées, elles me paraissaient comme une perte de temps, un abrutissement. J’inventais des histoires, des contes avec des personnages plus positifs que Cendrillon, prête à se sacrifier, à se faire battre et à se taire, pour ses sœurs et toute sa famille, ou Blanche-neige, qui se met à servir même les nains rencontrés dans la forêt et, surtout, prête à attendre que le prince la réveille.

Désormais, ce sont les pubs qui me font hurler. En m’agressant, elles me rappellent sans cesse que mon destin est celui d’objet sexuel. Tout en les subissant, nous sommes obligées de subir ce modèle dévalorisant, tout en criant contre les femmes représentées : « Elle est niaise, elle est méchante, elle est idiote… ». Dix minutes de pubs, égal dix minutes d’insultes sur le genre féminin ! Et après, nous sommes surprises de manquer de confiance en nous !

Jusqu’à quand nous serons obligées de faire mieux que les hommes, nous occuperons la deuxième place. Devoir sans cesse être meilleures, voilà une perte d’énergie et de temps qui nous oblige à courir après les hommes… au sens figuré comme au sens propre ! Par provocation, j’affirme parfois que l’égalité sera réalisée lorsque les prisons seront fréquentées autant par les hommes que par les femmes.

En 2006 j’ai tourné un docufiction sur les droits des femmes: « Je, tu, EllE… nous étions, vous serez, elles sont ».  Dans ce film, au travers des personnages fictifs, les femmes témoignent du rôle primordial de l’éducation, de la discrimination des femmes dans le sport, de la lutte pour l’égalité professionnelle, de la pauvreté d’un langage non-discriminant, de la double contrainte du travail domestique, du rôle de l’identité du genre et de l’orientation sexuelle dans la structuration de la personnalité.

J’ai recherché d’autres films sur les droits des femmes et, sans que cela m’étonne, j’ai découvert qu’ils sont rares.

 

A Londres, pendant le Forum Social Européen, 2004.
A Londres, pendant le Forum Social Européen, 2004.

Les enfants savent très bien différencier les rôles propres à chaque sexe. Lors des ateliers théâtre, ils hésitent à se mélanger. Alors, je leur pose la question suivante : quelle différence entre filles et garçons ? Ils se regardent attentivement avant de répondre : « Les filles ont des jupes. Elles ont les cheveux plus longs aussi. » Les plus malins ajoutent : « Ils ne font pas pipi de la même façon ». Ca ne va pas plus loin. Jusqu’à la puberté, voilà les différences entre les sexes.

Mais, ce sont vraiment des différences ? Je dirais que ce sont plutôt des variations. De la même façon dont on parle des « races », on parle des sexes : il y a une seule race, la race humaine, malgré ce qu’on persiste à écrire sur les dictionnaires. Il y a une seule espèce et à l’intérieur de cette espèce, il y a des variations. Des variations de toutes sortes, de tous genres.

Il peut y avoir beaucoup plus des différences entre deux hommes, qu’entre une femme et un homme ! Face à la suprématie masculine, les femmes ont tendance à se valoriser en affirmant être celles qui font les enfants, mais cette affirmation est à double tranchant.

Faut-il rappeler que, pour qu’une femme accouche d’un enfant, il faut être deux pour le concevoir ? Faut-il rappeler aussi que l’homme a historiquement utilisé cet argument afin de laisser aux femmes les charges et les responsabilités qui en découlent ?

Aujourd’hui encore, l’homme est pensé comme celui qui « sera », la femme comme celle qui « donnera ». L’identité des femmes est toujours pensée comme objet soumis à l’approbation d’autrui. Sur cette question, il n’y a pas eu d’avancé notable depuis les années 70, je m’en suis aperçue en relisant le livre de Elena Gianini Belotti Du côté des petites filles ou de Simone de Beauvoir Le deuxième sexe, datant pourtant de 1949.

Les conditionnements culturels commencent avant la naissance et sont défavorables aux femmes, ils assignent aux femmes un rôle subalterne. Ne pas s’adapter à ce modèle imposé provoque doutes, insécurité, perte d’énergies.

L’identification aux stéréotypes  est facteur de discrimination, il est impératif de les déstructurer.

Il n’y a pas de qualités masculines ou féminines, il n’y a que des qualités humaines, il nous faut dépasser les préjugés liés au genre. Par exemple, il est urgent que les hommes se mobilisent sur la question des violences masculines envers les femmes. Qu’elles s’exercent dans la sphère privée ou publique, elles sont un problème de société qui trouve son origine dans les rapports inégalitaires entre les sexes. Pour mieux vivre ensemble, il faut arrêter d’opposer sans cesse les hommes aux femmes, comme si la guerre des sexes était le fondement des relations entre eux, alors qu’il est le fruit de la superstition et de l’ignorance. Etre soldat, partir à la guerre… non merci !

 

Manif contre la réforme des retraites, Nantes, 2010.
Manif contre la réforme des retraites, Nantes, 2010.

Pour terminer, voici «La réfractaire », un extrait de ma pièce de théâtre Un pavé dans la mare

« Je suis anticonformiste de naissance, rebelle par nécessité. Je suis réfractaire au bon sens commun, alors je fais de la provocation. Je ne jette pas les pavés dans la mare, je les lance dans la tronche ! Je ne risque pas grand chose : je suis une femme ! Il n’y a plus personne qui gueule, qui proteste. Je n’aime pas ! Je n’aime pas les enfants qui se promènent déguisés en sorcière pendant halloween, alors que le diable pointe sa queue dans les vitrines. Je n’aime pas les affiches publicitaires placardées sur tous les murs, avec des supermeufs offertes au prix d’une savonnette, qui t’ordonnent d’être un mètre quatre-vingts, cinquante kilos, gros nichons, taille mince, sous peine d’être ridicules. Je n’aime pas le jour de Noël, les mariages, les enterrements, les baptêmes : ils me rappellent le devoir d’être comme tout le monde, en ligne, en règle, prêts à accepter une culture patriarcale et répressive. Je n’aime pas me lever tôt le matin, dans le noir, et courir au travail, comme des robots en série, programmés par l’habitude. Je n’aime pas les supporters en général et le football en particulier, parce que le foot est une gigantesque escroquerie et les troupeaux qui bêlent abrutissent l’humanité.

Je n’aime pas ceux qui laissent filer leur vie sans se poser de questions, dociles, soumis, indifférents. Je n’aime pas le coca-cola, la cuisine « light », les crème antirides, je n’aime pas travailler pour trois sous, gaspiller ma vie à la gagner, je n’aime pas les gens de mon âge, la cinquantaine réussie et satisfaite, alors qu’on se contente de peu et qu’on en est fier.  Je n’aime pas les naïfs qui disent : je l’ai vu à la télé ! Je n’aime pas la télévision parce qu’elle se prend pour Dieu, et tous ses saints sont à sa disposition pour répandre sa bonne parole, alors que depuis des siècles la raison se bat contre les superstitions.

Dans le futur, c’est sûr, il y aura plus de pauvres et plus de riches, mais, grâce à la  culture de masse, tous plus imbéciles ! Je n’aime pas la violence des armes, les guerres qui imposent la paix des puissants. Ce beau pays défend la liberté, surtout celle du marché. Et, malgré toutes ces libertés, voulez-vous, aussi, la liberté de penser ? »

 

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Un autre article de Diana Vivarelli : De retour d'Italie