Du sexisme dans l'orthophonie ?

L'orthophoniste traite-t-elle/il différemment ses patient.es selon qu'elles/ils soient filles ou garçons, s'est interrogée Diane Bohy. Hélas, elle a dû répondre à cette question par l'affirmative. Dans le choix des outils (jeux et jouets, accessoirement livres), dans l'orientation des conversations informelles, des stéréotypes sexistes s'imposent, sans qu'il n'y ait intention malveillante de la/ du soignant·e.

Encore un stage de validation des acquis et Diane Bohy pourra exercer en France la profession d'orthophoniste à laquelle elle s'est préparée durant trois ans. Elle a entamé ses études avec déjà le projet sous-jacent de se consacrer aux enfants. Elle a persisté en choisissant comme sujet de fin d'études "Comment favoriser l'égalité des sexes grâce à la logopédie ?" - "logopédie" étant en Belgique, où Diane Bohy s'est formée, le terme préféré à "orthophonie".

"L'idée m'est venue d'abord par des remarques que j'avais entendues de profs en classe et aussi d'étudiantes en stage, des remarques sur le genre qui m'avaient choquée moi, mais pas grand monde d'autre. Des stéréotypes qu'on nous exposait comme si c'était normal, ou des remarques que des étudiantes faisaient à propos de leurs patientes filles." Elle en conclut que les soignant·es ne se rendent pas toujours compte de l'implicite du message qu'elles/ils peuvent transmettre à leurs patient·es, qu'elles/ils rencontrent en moyenne une fois par semaine, sur lesquel·les elles/ils exercent par conséquent une influence, même inconsciente. Diane Bohy précise que les questions de genre et d'égalité des sexes l'intéressaient déjà "de base".

Ces questions ne sont pas abordées, ni dans les discussions ni dans l'enseignement, mais elles reviennent indirectement dans les conversations, sans être nommées. "Même en cours. J'ai entendu des profs recommander des jeux considérés comme bien pour les garçons, parce qu'il y avait des voitures, ou bien pour les filles, parce qu'il y avait des poupées. Comme si utiliser des outils genrés serait mieux." Du féminisme, elle n'a jamais entendu parler durant trois ans, "quand on n'est que des étudiantes et qu'on a beaucoup de profs femmes...". Ses recherches, a pensé l'étudiante, serviraient aux orthophonistes, davantage mal informé·es que mal intentionné·es. Ce domaine n'avait, à sa connaissance, jamais été exploré et elle ouvrait une voie. Pourtant, le sujet est mal compris et la directrice de mémoire difficile à trouver.

Pour confirmer son impression que les orthophonistes ne se montraient pas très sensibles à la question du genre, Diane Bohy a élaboré un questionnaire à leur soumettre. Beaucoup répondent que, oui, elles/ils différencient leurs outils selon le sexe de la/du patient·e. "Ce sont les stéréotypes auxquels on s'attend. Les princesses pour les filles, les chevaliers pour les garçons... On nous apprend à ne jamais faire la même rééducation, à l'adapter aux centres d'intérêt des patient·es. On a tendance à anticiper les goûts des patient·es, à proposer des voitures à tous les garçons et des poupées à toutes les filles, en se disant que ça a plus de chance de leur plaire. En cours, on nous dit d'adapter à la/au patient·e, pas au sexe de la/du patient·e. Ça se transforme dans la pratique." Diane Bohy reste optimiste : il y a davantage d'interrogées à dire utiliser des outils différents qu'à juger cela nécessaire.

Diane Bohy s'est aussi intéressée à l'avis des enfants. Pour rester dans l'âge que concerne son étude, elle s'est entretenue avec des 9-11 ans, des deux sexes. Y a-t'il des différences entre les filles et les garçons ?, leur a-t-elle demandé en préambule; et si elles/ils répondaient par l'affirmative, la majorité des cas, quelles sont-elles ? Les questions suivantes se modifiaient en fonction des premières réponses. Les enfants citaient plutôt les différences de genre : l'apparence, les vêtements, le goût pour tel ou tel jeu très sexué... " Elles/ils n'ont pas du tout mentionné de différences entre filles et garçons en ce qui concerne les apprentissages. Donc, à ce niveau-là, ils ne semblent pas (encore) imprégné·es des stéréotypes de genre tels que "les filles sont nulles en maths et en orientation spatiale mais sont plus fortes en langues et en littérature", par exemple. J'ai eu des filles très sportives mais elles m'ont quand même présenté des différences entre garçons et filles très schématisées. Elles se considèrent comme des exceptions mais ne se disent pas qu'il n'y a rien de réservé aux garçons, rien de réservé aux filles. La plupart finissent par admettre qu'on peut tous jouer à tout. Elles/ils ne se sentent pas interdits mais observent que les filles font ceci, les garçons cela."

Le travail se conclut sur une brochure des outils non différenciés. "Rien de féministe là-dedans, c'est juste des outils sans stéréotypes de genre, des jeux qu'on devrait tou·tes utiliser tout le temps. Ils ne sont pas faits spécialement pour l'orthophonie." Il existe des jeux conçus pour cet usage, précise Diane Bohy, dont certains sexistes. Et de citer l'intitulé "La princesse ou le chevalier", où chaque patient·e choisit son personnage mâle ou femelle; les règles et le déroulement sont les mêmes, seul le plateau change, bleu ou rose. "Ça n'a aucun intérêt, tu travailles exactement les mêmes choses. Donc, sauf transmettre un stéréotype de genre..."

Elle-même, dans son avenir professionnel qu'elle voit avec des enfants, de préférence dans des structures de santé pluri-professionnelles, se promet de n'utiliser que des outils non genrés. "Je sais aussi que ça passe par les conversations informelles avec les patient·es, pour leur faire voir les choses de façon différente, relever les stéréotypes qu'ils peuvent dire, les emmener à réfléchir par elles/eux-mêmes." La question de l'égalité des sexes ne sera pas négligée.

Ci-dessus une sélection de jeux, livres et applications extraites de "la boîte à outils égalitaire et non sexiste pour logopèdes" réalisée par Diane Bohy pour son mémoire de fin de d'études.