Un métier, un vêtement

Avec le défilé-spectacle, suivi d'un débat et accompagné de l'exposition d'Émulsion, "Femmes au travail - 3 pas en avant, 2 pas en arrière", Style Alpaga débute une action de longue haleine sur un thème qui préoccupe déjà beaucoup celles et ceux qui fréquentent l'association : le travail.

Dès la troisième, à la veille de ce qu'on appelle l'orientation scolaire, la question revient avec insistance : quel métier les jeunes envisagent-elles d'exercer ? Elles sont sommées de mettre en balance leurs désirs, leurs rêves, leurs compétences, les traditions familiales, les possibilités financières de leurs parents... Déjà choisir, c'est violent. Les collégiennes, très présentes à Style Alpaga, ne savent pas répondre à la question, qui les inquiète plus qu'elle ne les stabilise. Les plus âgées, qu'elles aient ou non interrompu leur scolarité, démarré ou non une activité professionnelle, librement choisie ou non, se trouvent face à la réalité du travail et de ses contraintes. Que subiront-elles ? Que doivent-elles refuser ? Que peuvent-elles espérer ? Comment faire pour se créer une situation professionnelle qui aide à vivre selon ses vœux ? À Style Alpaga, où l'on parle de tout, le sujet revient régulièrement. Il est central, incontournable. Plutôt que de chercher à le noyer dans les activités collectives qui mettent de l'enthousiasme dans la vie, mieux vaut l'intégrer dans celles-ci, amener à la réflexion qui pourrait éviter d'être entraînée irrémédiablement dans une spirale d'échec. Pas toujours facile d'aborder les sujets graves, dont on pourrait même dire qu'ils "fâchent", sans qu'oreilles et bouches s'obstruent. La couture, activité principale, et le désormais traditionnel rendez-vous du défilé-spectacle font merveille pour aborder l'aride thème du travail dans la joie avant de le développer.

Lors de leur découvert.e du monde du travail, à l'occasion du Rallye des métiers, les collégien.nes ont fait une constatation : les tenues professionnelles sont tristes. Style Alpaga invitent les concurrent.es à les revisiter. Elles/ils travaillent impérativement en binôme. Chacun.e a fixé son choix selon ses goûts ou ses projets. Sofia, partenaire de sa cousine Chaïma, s'approprie la blouse d'une pédiatre parce qu'elle se destine elle-même à la médecine, bien déterminée à affronter les longues études; par la couleur rose pâle, les ourlets fleuris, elle mise sur la douceur qui rassurera les jeunes patient.es. Abdel rend une sorte d'hommage à l'association : il portera une blouse de couturier, pas forcément un créateur, "quelqu'un qui coud"; il travaille en binôme avec Ludmila. Cédrine a dessiné un uniforme de "marine" fortement revu en hommage à son amie qui veut s'engager dans l'armée, sans avoir encore choisi son corps; elle a travaillé sur le bleu, le blanc et le rouge avant de s'apercevoir qu'il s'agissait des couleurs de la France, affirme-t'elle. Sarah et Ilhame sont associées sur un tablier de fleuriste, multicolore, constellé de fleurs en tissu, comme on en voit hélas peu dans les boutiques. Azara et Fatima, deux sœurs, fabriquent une tenue colorée mais commode pour une cheffe soucieuse de servir "une bonne soupe".

Le projet de débat, raconte la responsable Zohra, est ancien. À l'origine, Style Alpaga le prévoyait en mai, à part du défilé-spectacle. En y réfléchissant, elles ont conclu que "la revisite des tenues, ça va traiter du travail et ça n'est pas une finalité. C'est important d'aller plus loin et d'amorcer quelque chose ce jour-là." Les projets se réadaptent toujours de cette façon-là : "Au départ, on a un programme, on a un échéancier, mais comme tout part du public, on réajuste un peu les choses." Dans tous les ateliers, les encadrantes sont sollicitées sur le travail; elles l'ont été y compris par une trentenaire qui a subi un burn-out et en témoignera le 1er juillet. "Ça n'est pas la compétence première de l'association. Mais ce qui va se passer le 1er juillet peut rebondir sur une programmation en 2018. Est-ce que ça peut être des tables rondes, des témoignages de personnes qui sont allées au bout de leurs rêves?". Les habitué.es, indifférent.es au départ à ce qui n'est pas couture, s'investissent peu à peu dans le thème choisi, l'étudient, se questionnent... Qui aurait cru qu'elles se soient intéressées à l'œuvre de Jules Verne l'an dernier ? Leurs défilés furent pourtant une réussite.